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cents francs, — tu ne gagnes pas quatre cents francs — avec quatre cents francs, peux-tu faire vivre ta femme et deux petits, par exemple ? Non, pas vrai ! Eh bien ! il faut en faire douze ; ça t’étonne ! Si tu n’en as que deux ou trois, tu n’oseras pas leur mettre le bissac sur le dos, tu n’oseras pas ; quand on en a douze, ce n’est plus la même chose : on n’a plus honte, et tout le monde donne. Il n’y a que les femmes, mais les femmes s’y font, elles savent bien que ce n’est pas notre faute.

Il y eut un silence ; tous les hommes qui étaient là — et Séverin lui-même, d’ailleurs, — connaissaient ces choses ; ils étaient obligés d’approuver.

— Quand tu seras usé, continua Maufret, tes enfants t’empêcheront de mendier. Tiens, mon Eusèbe gagne déjà près de quinze pistoles ; dans deux ou trois ans, je pense que je pourrai fumer sur la semaine. Quand Eusèbe gagnera pour lui, ce sera le tour des autres.

Séverin pensa tout haut :

— Oui ! et Eusèbe et les autres seront valets eux aussi, valets comme vous, toujours !

— Valets ! bien sûr ! Que veux-tu faire ? Je vois que l’idée de borderie te trotte dans la tête ; moi aussi, dans le temps, j’ai ruminé ça ; mais encore une fois, c’est fou ! c’est bien fou ! Les sans-le-sou qui prennent des terres sont plus malheureux que nous, car ils ne peuvent rien demander ; ils se tuent à l’ouvrage et ne mangent jamais à leur faim ; pour un qui réussit, dix qui crèvent. Tu devrais pourtant comprendre ça, mon pauvre gars, toi qui es sorti de petite souche !…