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d’avoir défait Charlemagne et ses douze preux ? H est vrai que j’ai la conscience en paix à l’endroit de Roland, ayant contemplé de mes yeux la brèche que fit son épée à la montagne voisine de Gavarnie, et les empreintes que laissèrent les deux fers de son cheval dans le rocher.

L’impitoyable prudence nous ramenait donc par le chemin le plus court. Toutefois, depuis que nous retournions vers le nord, nous retrouvions la verdure, le soleil et un reste d’été. Déjà nous redescendions le rude passage de Salinas. C’était le dimanche matin, la vallée s’éveillait riante au son des cloches, et les paysans commençaient à se grouper joyeux sous les porches des églises. Ici reparaît dans toute sa liberté la bonne humeur de la vieille Espagne. Aujourd’hui, si nous entendons chanter un muletier ou une servante d’auberge, l’air est vif et gai. Il arrive même qu’à la grand’messe, dans l’église principale de Tolosa, l’organiste nous fait les honneurs d’une polka très-animée. Cependant cette musique indévote ne troublait pas la piété des fidèles: je voyais se prosterner, dans une adoration profonde, de beaux jeunes gens fort capables de discuter les fuerosde la province, et de les soutenir le mousquet au poing. Les femmes se pressaient à l’offrande, chacune avec un pain blanc et un cierge ; d’autres, c’étaient les veuves, agenouillées sur un tapis noir entre deux flambeaux, demandaient des prières pour leurs pauvres morts.