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plus des leçons, mais des chants. Au premier abord, rien ne paraît plus téméraire. Il semble qu’introduire un principe scientifique dans la poésie, ce soit y jeter un souffle glacé. La science reste froide, en effet, tant qu’elle demeure en présence du connu. Mais, tôt ou tard, il faut bien qu’elle arrive à l’inconnu, à des mystères qui la tourmentent, et qui par conséquent réchauffent. En remontant le cours des vérités secondaires, elle s’achemine vers la source première du vrai ; où est aussi la source du beau. Jacopone connaît ces chemins, il a exploré les abîmes et les hauteurs de l’infini. Soit qu’il nous donne tout le spectacle de la damnation dans une âme coupable, soit qu’il. décrive les cieux mystiques, et qu’il les traverse pour aller s’anéantir devant l’Incréé, que fait-il, sinon de frayer à Dante les routes de l’enfer et du ciel ? Il a touché d’avance aux grands problèmes religieux que son successeur soulève à chaque pas, et qu’on lui reproche injustement, comme si ce n’était pas un effort du génie d’avoir construit ce paradis tout spirituel, dont la première béatitude est de connaître, et la seconde d’aimer. Comme satirique, Jacopone exerce avant Dante la censure de son temps et de son pays. Tous deux désabusés des joies humaines, tous deux persécutés, condamnés à manger le pain d’autrui, ils virent sans illusion, l’un du fond de son cachot,. l'autre de son exil, le mal d’un siècle qui ouvrait