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Quelle place tient Boniface dans l'histoire de son temps.

Il fallait s’arrêter devant ce grand homme, comme, au terme d’une longue marche dans les forêts du Nord, le voyageur s’arrêtait devant la statue d’un saint qui lui annonçait les approches de l’abbaye voisine, et par conséquent de la civilisation. Il fallait étudier le missionnaire intrépide jusqu’au martyre, l’évêque qui eut le courage plus grand de mettre la main à la réforme d’une société dégénérée, le moine qui n’èut pas peur, de la solitude, ni de confier au désert de Fulde l’école de la Germanie chrétienne. Il fallait animer, s’il se pouvait, cette image de sa vie, en faisant revivre sa belle âme, en pénétrant dans la familiarité de cet esprit passionné pour les lettres, dans les faiblesses de ce coeur tourmenté, mais invincible. Il fallait enfin lui donner la couronne d’une sainte mort. Mais, après avoir admiré avec émotion cette héroïque figure, ne craignons pas de rabaisser la statue en considérant le piédestal qui la porte. Il n’y a pas d’homme si grand qui ne soit soutenu par une pensée plus grande que lui. C’est une partie de la gloire de saint Boniface, de ne point s’être enfermé dans cet isolement où la mission de saint Colomban se borna ; d’avoir emporté avec lui l’esprit indulgent de l’Église anglo-saxonne ; de s’être rendu l’esclave de tous, en se livrant à tous les bons desseins des peuples, des princes et des papes. La docilité qu’on lui

    S. Luidgeri, ap. Pertz, 406. Supplement. auct. presbyt. Mogunt, III., 10.