Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 11.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion Il faut avoir vu ces lieux pour se représenter la cour de Castille au quinzième siècle ; quand le souffle de l’Italie avait passé sur elle sans l’enivrér encore, quand les poëtes et les artistes se pressaient au palais de Burgos, quand le roi Juan II faisait des vers, et que les chefs de l’aristocratie castillane, les marquis de Santillane et de Villena, s’honoraient de traduire Dante et de ranimer le Gai Savoir des troubadours. Le génie castillan connaît déjà l’inspiration des peuples voisins ; mais il ne connaît pas la servitude, il est encore dans toute la liberté de son essor national, il est plein de joie et de sérénité. Il n’a pas encore cette grandeur triste que lui donna la dynastie autrichienne, lorsqu’elle voulut mettre le monde entier sur les épaules de l’Espagne, au risque de l’étouffer. J’ai trouvé aussi beaucoup de plaisir à voir de près ce peuple original, qui n’a pas la grâce italienne, mais qui a de la noblesse. Il me semble qu’il est instructif d’entendre parler et d’être contraint de parler soi-même une langue qu’on n’avait vue que dans les livres, et comme une lettre morte, comme un instrument de musique dont on connaissait les cordes, mais dont on n’avait jamais entendu les sons. Les vieux Castillans parlent très-purement ; j’étais tout ravi de les bien comprendre, et j’ai eu la témérité de leur répondre, au péril de leurs verbes que je massacrais et de ma dignité professorale compromise par des centaines de solé-