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nous amusâmes si bien à l’abri d’un hangar, tandis qu’il pleuvait ? Nous nous balancions aux deux bouts d’une grande poutre en équilibre, pendant que ton père, appuyé sur une canne que je reconnaîtrais encore, nous faisait faire des remarques instructives, et mêlait à nos jeux d’utiles leçons. Que de fois aussi encourageait-il mes études, tantôt par une félicitation, tantôt par un bon conseil Je sais telle parole de lui qui m’a donné de l’émulation pour plusieurs mois. Enfin il m’a conduit jusqu’au bout de la jeunesse quand je n’avais plus mon père pour m’y conduire ; et si ta mère avait contribué singulièrement à me conseiller un mariage où j’ai trouvé tant de bonheur, M. Falconnet fut un des témoins qui m’accompagnèrent à l’autel. Hélas ! ce jour-là, j’avais encore avec moi M. Jaillard qui vient aussi de mourir, comme s’il fallait, à mesure que nous formons de nouveaux liens ici bas, que les anciens se rompissent afin que notre tente ne tînt pas trop à la terre. Ah ! cher ami, tu ne le sens que trop ; et je sais par expérience quel brisement se fait dans nos entrailles quand nous perdons un père. Voici quatorze ans que la blessure saigne chez moi ; elle s’est adoucie, mais elle ne s’est jamais cicatrisée. Je ne connais qu’une consolation digne de ces grandes douleurs : c’est Dieu qui nous a repris ce qu’il nous avait donné rien ne se perd dans sa main, et lui qui ne permet pas qu’une goutte de