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elle n’eut la pensée de les convertir. Et comment l’eût-elle fait, si convertir c’est donner à la conscience purifiée le gouvernement des passions, et si le paganisme romain enchaînait la conscience au pied des passions divinisées ? Au contraire, le christianisme ne comptait pour rien la possession du sol et la soumission forcée des peuples. Il réclamait l’empire des intelligences et des volontés. À des esprits grossiers, qui ne connaissaient que des dieux homicides et voluptueux, il fallait annoncer un dogme spirituel. À des hommes violents il fallait donner une loi de mansuétude et de pardon. À des immolateurs de victimes humaines il fallait proposer un culte contenu dans la prédication, la prière et le sacrifice non sanglant. Et ne dites pas que la nouveauté même d’une telle doctrine touchait nécessairement les cœurs, et que la parole savante du prêtre triomphait sans peine de ces ignorants. Rathbod, duc de Frise, pressé par saint Wulfram, s’étant fait décrire le paradis nouveau qu’on lui proposait au lieu de la Valhalla de ses ancêtres, finit par déclarer qu’il aimait mieux rejoindre ses ancêtres que d’aller avec une troupe de mendiants habiter le ciel des chrétiens.

Mais cette conquête des esprits devait être faite par l’esprit, et les armes, loin de la servir, ne pouvaient guère que la compromettre, comme il arriva plusieurs fois. Il lui fallait donc des instruments qui ne laissassent voir que la puissance de l’esprit, des instruments faibles et dédaignés, des femmes, des esclaves, des malades ; et c’est, en effet, par ces mains infirmes que