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de la France et de l’Espagne, de l’Allemagne et de l’Angleterre. De là deux avantages des temps modernes. D’un côté, le beau, toujours unique dans son type, trouve une variété infinie de manifestations nouvelles dans le génie, les passions, les langues de tant de peuples différents. D’un autre côté, les joies de l’esprit se communiquent à un plus grand nombre d’intelligences, et l’art se rapproche de son but, qui est d’achever l’éducation, non de quelques-uns, mais de la multitude ; de charmer non les heureux, mais ceux qui travaillent et qui souffrent, et de faire descendre l’idéal comme un rayon divin au milieu de l’inexorable ennui de la vie.

Ainsi l’humanité semble attirée irrésistiblement vers une perfection que jamais elle n’atteindra, mais dont chaque âge la rapproche. Toutefois c’est précisément cette nécessité irrésistible qui effraye plusieurs esprits sages, et qui soulève contre la doctrine du progrès deux difficultés. On la repousse comme une doctrine d’orgueil ; car elle suppose les hommes de chaque génération meilleurs que leurs pères ; elle inspire le mépris du passé, le dédain des traditions. On la dénonce comme une doctrine de fatalisme, car il suffit qu’un siècle soit le dernier pour être le plus grand ; et, comme il y a des siècles où s’obscurcissent la vertu et le génie, le progrès se réduit au seul travail qui ne s’interrompt point, c’est-à-dire à l’accroissement des biens matériels.

Ces difficultés se dissipent, si l’on distingue entre l’homme et l’humanité. Dieu n’a pas créé l’humanité