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Virgile mourant et vouant au feu son Énéide ; c’est le Tasse ne pouvant se consoler de sa Jérusalem. Quand ces dégoûts saisissent des artistes immortels, il semble que l’art lui-même aurait dû se décourager. Il n’en est rien, et l’espérance, plus puissante que l’impuissance avouée des grands hommes, ressaisit ceux qui les suivent et les ramène à l’œuvre interrompue. Elle pousse ces générations d’architectes et de peintres qui recommencent à bâtir après le Parthénon, après le Colisée, après Notre-Dame de Paris ; qui recommencent à peindre des Christs, des Madones, des Saintes Familles, avant que le temps ait effacé les couleurs de Giotto et de Raphaël. Les poëtes sont les plus hardis : ils osent venir quand le monde est encore tout retentissant des chants d’Homère et de Virgile. Il est vrai que ces exemples inimitables les troublent d’abord, et que Dante, à l’entrée de l’Enfer, hésite à commencer son pèlerinage poétique et terrible. Mais c’est encore l’espérance qui le pousse pour ainsi dire par les épaules dans le chemin ténébreux. Et si, plus d’une fois durant la route, il sent ses genoux trembler et son cœur défaillir, c’est elle qui le ranime et le force à marcher jusqu’au bout en lui montrant Béatrix, c’est-à-dire l’idéal qui lui sourit au ciel.

Voilà comment la philosophie chrétienne peut établir la loi du progrès. Il faut maintenant se demander si c’est une loi morale ou nécessaire, une loi qui souffre résistance ou qui se fasse invinciblement obéir.

L’histoire semble répondre que la loi du progrès est