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ingrate et désintéressée, car ces hommes ne pouvaient pas prévoir la récompense qui leur serait donnée. C’était là peut-être ce que les temps barbares devaient recueillir de plus précieux dans cette langue : quand Horace a dit que la lyre d’Orphée avait civilisé les peuples, je crains que son imagination ne l’ait trompé. Sans doute les muses sont pour quelque chose dans cette marche de la civilisation, sans doute les peuples ont aimé à voir les poëtes à leur tête, surtout dans les siècles difficiles ; mais souvent ces guides divins leur ont manqué : ce qui ne manque jamais aux nations qui doivent grandir, c’est le travail. Je ne me lasserai pas de le dire, car les époques que nous avons à traverser ensemble sont surtout des époques laborieuses, et c’est là que nous apprendrons quelles difficultés et quel mérite il y avait à plier à l’étude, à courber sur des textes, à enfermer dans des écoles, à faire asseoir sur des bancs, tous ces descendants de barbares dont les pères avaient hanté les forêts de la Germanie. C’étaient là les gens qu’il fallait civiliser, et le commencement de cette civilisation fut le travail : le génie vint ensuite pour en être la récompense et la fleur.

Mais, pour que la tradition littéraire de l’antiquité arrivât jusqu’au moyen âge, il fallait avant tout qu’elle passât par le christianisme ; il fallait que les lettres se fissent chrétiennes, que l’école voulût entrer dans l’église et que l’église voulût ouvrir ses portes à l’école. Et il ne s’agissait pas d’une question facile, mais d’un problème qui devait tourmenter pendant de longs