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sa chevelure, dans un désordre qu’elle n’avait point autrefois, tombait avec négligence sur sa figure horriblement altérée. Il me sembla même que ses ailes étaient hérissées, ainsi que l’est le plumage d’une colombe que plusieurs mains ont froissée. Aussitôt que je l’eus reconnu, car nul n’est plus connu de moi, j’osai lui parler en ces termes : "Enfant, toi qui trompas ton maître, et qui causas son exil, toi que je n’aurais jamais dû instruire des secrets de ta puissance, te voilà donc venu dans un pays d’où la paix est à jamais bannie, dans ces contrées sauvages où l’Ister est toujours enchaîné par les glaces ! Quel motif t’y amène, si ce n’est pour être témoin de mes maux ? Ces maux, si tu l’ignores, t’ont rendu odieux. C’est toi qui le premier me dictas des vers badins. C’est pour t’obéir que je fis alterner l’hexamètre et le pentamètre. Tu ne m’as pas permis de m’élever jusqu’au rythme d’Homère, ni de chanter les hauts-faits des guerriers fameux.

Peut-être que ton arc et ton flambeau ont diminué la vigueur peu étendue, mais cependant réelle, de mon génie, car, occupé que j’étais à célébrer ton empire et celui de ta mère, mon esprit ne pouvait songer à une œuvre plus sérieuse. Ce ne fut pas assez. J’ai fait, insensé ! d’autres vers encore, afin de te rendre, par mes leçons, plus habile, et, malheureux que je suis ! l’exil a été ma récompense, l’exil aux extrémités du monde, dans un pays où les douceurs de la paix sont inconnues. Tel ne fut pas Eumolpus, fils de Chionée, envers Orphée. Tel ne fut pas Olympus envers le satyre Marsyas. Telle ne fut pas la récompense que Chiron reçut d’Achille, et l’on ne dit pas que Numa ait jamais nui à Pythagore. Enfin, pour ne pas rappeler tous ces noms empruntés aux siècles passés, je suis le seul qu’ait perdu un disciple ingrat. Je te donnais, folâtre enfant, des armes et des leçons, et voilà le prix que le maître reçoit de son élève ! Cependant, tu le sais, et tu pourrais hardiment le jurer, je n’ai jamais conspiré dans mes vers contre des nœuds légitimes. J’ai écrit pour ces femmes dont la chevelure ne porte point de bandelette, symbole de la pudeur, dont les pieds ne sont pas, à la faveur d’une robe traînante, invisibles aux regards. Dis encore, je te prie, quand ai-je appris à séduire les épouses et à jeter de l’incertitude sur la naissance des enfants ? N’ai-je pas, censeur rigide, interdit la lecture de mes livres à toutes les femmes que la loi empêche de lier des intrigues galantes ? À quoi m’ont servi tous ces ménagements, puisque je suis accusé d’avoir favorisé l’adultère, ce crime réprouvé par une loi rigoureuse ? Mais, je t’en supplie, et si tu m’exauces, que tes flèches soient partout triomphantes ! Que ton flambeau brûle d’un feu actif et éternel ! Que