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LETTRE X

À MACER

À la figure empreinte sur le cachet de cette lettre, ne reconnais-tu pas, Macer, que c’est Ovide qui t’écrit ? Si mon cachet ne suffit pas pour te l’apprendre, reconnais-tu au moins cette écriture tracée de ma main ? Se pourrait-il que le temps en eût détruit en toi le souvenir, et que tes yeux eussent oublié ces caractères qu’ils ont vus tant de fois ? Mais permis à toi d’avoir oublié et le cachet et la main, pourvu que tes sentiments pour moi n’aient rien perdu de leur vivacité. Tu le dois à notre amitié dès longtemps éprouvée ; à ma femme, qui ne t’est pas étrangère ; à nos études enfin, dont tu as fait un meilleur usage que moi. Tu n’as pas commis la faute d’enseigner aucun art. Tu chantes ce qui reste à chanter après Homère[1], c’est-à-dire le dénouement de la guerre de Troie. L’imprudent Ovide, pour avoir chanté l’art d’aimer, reçoit aujourd’hui la triste récompense de ses leçons.

Cependant il est des liens sacrés qui unissent les poètes, quoique chacun de nous suive une route différente. Je suppose que, malgré notre éloignement, tu te les rappelles encore, et que tu souhaites de soulager mes maux. Tu étais mon guide quand je parcourus les superbes villes de l’Asie, tu le fus encore lorsque la Sicile apparut à mes yeux. Nous vîmes tous deux le ciel briller des feux de l’Etna, de ces feux que vomit la bouche du géant enseveli sous la montagne ; les lacs d’Henna et les marais fétides de Palicus, où l’Anape mêle ses flots aux flots de Cyane, et près de la nymphe qui, fuyant le fleuve de l’Élide, porte jusqu’à la mer le tribut de ses eaux invisibles à son amant. C’est là que je passai une bonne partie de l’année qui s’écoulait : mais hélas ! que ces lieux ressemblent peu au pays des Gètes, et qu’ils sont peu de chose comparativement à tant d’autres que nous vîmes ensemble, alors que tu me rendais nos voyages si agréables, soit que notre barque aux mille couleurs sillonnât l’onde azurée, soit qu’un choc nous emportât sur ses terres brûlantes ! Souvent la route fut abrégée par nos entretiens ; et nos paroles, si tu comptes bien, étaient plus nombreuses que nos pas. Souvent, pendant nos causeries, la nuit venait nous surprendre, et les longues journées de l’été ne pouvaient nous suffire. C’est quelque chose d’avoir couru l’un et l’autre les mêmes dangers sur mer, et adressé simultanément nos vœux aux divinités de l’Océan, d’avoir traité en commun des affaires sérieuses, et de pouvoir rappeler sans rougir les distractions qui venaient après elles. Si ces souvenirs te sont encore présents, tes yeux,

  1. Emilius Macer, de Vérone, voulut être le continuateur de l’Iliade, qui s’arrête, comme on sait, aux funérailles d’Hector.