Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/809

Cette page n’a pas encore été corrigée

des dieux et des hommes, car chacun de nous exalte celui dont il obtient l’appui. Toi aussi, Cotys, digne fils d’un illustre père, protège un exilé qui languit dans l’enceinte de ton vaste camp. Il n’est pas de plaisir plus grand pour l’homme que celui de sauver son semblable, c’est le moyen le plus sûr de se concilier les cœurs. Qui ne maudit Antiphate, le Lestrigon ? Qui n’admire la grandeur du généreux Alcinoüs ? Tu n’es point le fils d’un Cassandre, ni du tyran de Phères, ni de cet autre qui fit subir à l’inventeur d’un horrible supplice ce supplice même ; mais autant ta valeur brille dans les combats, et s’y montre invincible, autant le sang te répugne quand la paix est conclue. J’ajoute à cela que l’étude des lettres adoucit les mœurs et en prévient la rudesse : or, nul prince plus que toi n’a cultivé ces douces études, nul n’y a consacré plus de temps. J’en atteste tes vers : je nierais qu’ils fussent d’un Thrace, s’ils ne portaient ton nom. Orphée ne sera plus le seul poète de ces climats, la terre des Gètes s’enorgueillit aussi de ton génie. De même que ton courage, quand la circonstance l’exige, t’excite à prendre les armes et à teindre tes mains dans le sang ennemi, de même tu sais lancer le javelot d’un bras vigoureux, et diriger avec art les mouvements de ton agile coursier ; de même, quand tu as donné aux exercices familiers à ta race le temps nécessaire, et soulagé tes épaules d’un fardeau pénible, tu soustrais tes loisirs à l’influence oppressive du sommeil, et te fraies, en cultivant les Muses, un chemin jusqu’aux astres. Ainsi se noue entre toi et moi une sorte d’alliance. Tous les deux alors nous sommes initiés aux mêmes mystères. Poète, c’est vers un poète que je tends mes mains suppliantes ; je demande sur tes bords protection pour mon exil. Je ne suis point venu aux rivages du Pont après avoir commis un meurtre ; ma main criminelle n’a point fabriqué de poisons ; je n’ai pas été convaincu d’avoir appliqué un sceau imposteur sur un écrit supposé : je n’ai rien fait de contraire aux lois, et pourtant, je l’avoue, ma faute est plus grave que tout cela. Ne me demande pas quelle elle est. J’ai écrit les leçons d’un art insensé ! voilà ce qui a souillé mes mains. Si j’ai fait plus, ne cherche pas à le savoir ; que l’Art d’aimer seul soit tout mon crime. Quoi qu’il en soit, la vengeance de celui qui m’a puni a été douce : il ne m’a privé que du bonheur de vivre dans ma patrie. Puisque je n’en jouis plus, que près de toi du moins j’habite en sûreté dans cet odieux pays.