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le gladiateur blessé jure de renoncer aux combats, mais bientôt, oubliant ses cicatrices, il reprend ses armes. Le naufragé dit qu’il n’aura plus rien de commun avec la mer, et bientôt il agite la rame sur ces flots d’où naguère il se sauvait à la nage. Ainsi je maudis constamment mes études inutiles, et je reviens sans cesse courtiser la déesse que je voudrais n’avoir jamais honorée. Que ferai-je de mieux ? je ne suis pas né pour languir dans une lâche oisiveté ! le temps sans emploi est pour moi l’image de la mort. Je n’aime pas non plus à passer les nuits jusqu’au jour, plongé dans une ivresse dégoûtante, et les douces séductions du jeu n’ont sur moi aucune prise. Quand j’ai donné au sommeil le temps que réclament les fatigues du corps, comment employer les longues heures de la journée ? Irai-je, oubliant les usages de ma patrie, apprendre à bander l’arc du Sarmate, et me livrerai-je aux exercices de ce pays ? Mes forces elles-mêmes s’y opposent : mon âme a plus de vigueur que mon corps débile. Cherche alors ce que je puis faire ; rien de plus utile que ces occupations, qui ne le sont nullement en effet. C’est ainsi que je m’étourdis sur mes malheurs, et c’est assez pour moi que mon champ me rende cette moisson. Que la gloire vous aiguillonne, vous autres ! consacrez vos veilles à cultiver les muses, pour qu’on applaudisse ensuite à la lecture de vos vers. Je m’en tiens, moi, aux productions qui naissent sans effort, et je ne vois pas de raison de s’appliquer à un travail trop soutenu. Pourquoi mettrais-je tant de soin à polir mes vers ? craindrais-je qu’ils n’aient point l’approbation des Gètes ? Peut-être trouverez-vous cet aveu peu modeste, mais j’ai l’orgueil de me croire le plus beau génie des pays baignés par l’Ister. Là où je suis condamné à vivre, il doit me suffire d’être poète au milieu des Gètes inhumains. À quoi me servirait de poursuivre la gloire dans un autre monde ? Que ces lieux où le sort m’a jeté soient Rome pour moi : ma muse infortunée se contente de ce théâtre ! Ainsi je l’ai mérité. Ainsi l’ont ordonné les dieux tout-puissants ! Je ne crois pas, d’ailleurs, que mes écrits parviennent, de si loin jusqu’aux lieux où Borée lui-même n’arrive que d’une aile fatiguée. Le ciel entier nous sépare, et l’Ourse, si éloignée de la ville de Quirinus, voit de près les Gètes barbares. Non, à peine puis-je croire que les fruits de mes veilles aient franchi un si grand espace de terres et de mers ; supposons, d’ailleurs, qu’on les lise, et, ce qui serait étonnant, supposons qu’ils plaisent, ce fait, assurément, ne servirait en rien à leur auteur. Quel avantage recueillerais-tu d’être loué par les habitants de la chaude Syène ou de l’île de Taprobane, baignée par les flots indiens ? Montons encore plus haut : si tes louanges étaient chantées par les Pléiades lointaines, que t’en reviendrait-il ? Mais le poète, escorté par de si médiocres écrits, ne