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rocher ! Heureuses aussi, vous dont la voix plaintive redemandait un frère, et qui fûtes métamorphosées en peupliers. Et moi, je ne puis ainsi revêtir la forme d’un arbre ; je voudrais en vain devenir un bloc de pierre ; Méduse viendrait s’offrir à mes regards, Méduse elle-même serait sans pouvoir. Je ne vis que pour alimenter une douleur éternelle, et je sens qu’à la longue elle devient plus pénétrante : ainsi le foie vivace et toujours renaissant de Tityus ne périt jamais, afin qu’il puisse être toujours dévoré.

Mais lorsque l’heure du repos a sonné, lorsqu’arrive le sommeil, ce remède ordinaire de nos inquiétudes, la nuit, je pense, donnera quelque relâche à mes maux habituels. Vain espoir ! Des songes épouvantables m’offrent l’image de mes infortunes réelles, et mes sens veillent pour me tourmenter. Tantôt je rêve que j’esquive les flèches des Sarmates ou que j’abandonne à leurs chaînes mes mains captives, tantôt, lorsqu’un songe plus heureux vient m’abuser, je crois voir à Rome mes foyers solitaires ! Je m’entretiens tantôt avec vous, mes amis, que j’ai tant aimés, tantôt avec mon épouse adorée. Ainsi, après avoir passé quelques courts instants d’un bonheur imaginaire, le souvenir de cette jouissance fugitive aggrave encore la vivacité de mes maux, et, soit que le jour se lève sur cette terre malheureuse, soit que la nuit pousse devant elle ses chevaux couverts de frimas, mon âme, soumise à l’influence délétère d’un chagrin incessant, se fond comme la cire nouvelle au contact du feu. Souvent j’appelle la mort, puis, au même instant, je la supplie de m’épargner, afin que le sol des Sarmates ne soit pas le dépositaire de mes os. Quand je songe à la clémence infinie d’Auguste, je pense obtenir un jour, après mon naufrage, un port plus tranquille, mais quand je considère l’acharnement de la fortune qui me persécute, tout mon être se brise, et mes timides espérances, vaincues par une force supérieure, s’évanouissent. Cependant je n’espère et je ne sollicite rien de plus que de pouvoir changer d’exil, quelque rigoureux qu’il dût être encore. Telle est la faveur ou bien il n’en est plus pour moi, que j’attends de ton crédit, et que tu peux essayer de m’obtenir sans compromettre ta discrétion ; toi, la gloire de l’éloquence romaine[1], ô Maxime, prête à une cause difficile ton bienveillant patronage. Oui, je l’avoue, ma cause est mauvaise, mais, si tu t’en fais l’avocat, elle deviendra bonne ; dis seulement quelques paroles de pitié en faveur du pauvre exilé. César ne sait pas (bien qu’un dieu sache tout) quelle existence on mène dans ce coin reculé du monde. De plus graves soucis préoccupent ses hautes pensées, et l’intérêt que je voudrais lui inspirer est au-dessous de son âme céleste. Il n’a pas le loisir de s’informer

  1. Nous suivons ici le texte de Lemaire, qui réunit avec raison cette seconde partie à la première, pour n’en faire qu’une seule et même lettre, contrairement à plusieurs autres éditions qui commencent à ce mot une autre lettre.