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servantes sont l'objet de son aversion. Cependant, que la tendre mère n'invoque pas cette déesse pour ses propres enfants; [6, 560] elle-même fut une mère si malheureuse! Ce sera sous de plus heureux auspices que les enfants d'une autre mère lui seront recommandés; elle fut plus utile à Bacchus qu'aux fruits mêmes de son hyménée.

C'est elle, dit-on, ô Rutilius, qui t'adressa ces parole. "Où cours-tu, consul? tu tomberas, le jour de ma fête, sous les coups du Marse ennemi!". [6, 565] La fatale prédiction s'accomplit, et l'on vit le fleuve Tolène rouler des ondes rougies de sang. L'année suivante, au retour de la même aurore, la mort de Didius est un nouveau triomphe pour nos ennemis.

Le même roi te consacre le même jour, ô Fortune, et te donne un temple en ce même lieu. [6, 570] Mais dans l'enceinte même de l'édifice, quel est celui que nous cachent des toges amoncelées? C'est Servius; tous le savent; mais pourquoi est-il caché? Sur ce point, les esprits se partagent, et moi-même je reste incertain. Serait-ce que la déesse n'ose avouer qu'à demi ses furtives amours et rougit d'avoir accordé à un mortel les faveurs d'une habitante des cieux? [6, 575] Elle brûla en effet pour ce roi de la plus ardente passion; ce fut le seul homme pour lequel elle ne fut point aveugle. La nuit elle avait coutume de s'introduire dans le palais par une étroite fenêtre; d'où est venu le nom de la porte Fenestella.

Elle a honte maintenant, et couvre d'un voile ces traits qu'elle a chéris; [6, 580] c'est à peine assez de plusieurs toges pour dérober cette tête royale à nos regards. Serait-il plus vrai de dire qu'après les funérailles de Tullius, le peuple, au désespoir d'avoir perdu ce prince ami de la paix, ne gardant aucune mesure dans son affliction, et la sentant renaître à l'aspect seul de son image, il fallut la couvrir sous un amas de vêtements?

[6, 585] La troisième cause qui me reste à chanter semble m'ouvrir une plus vaste carrière; pourtant il est des bornes que mes coursiers contenus par les rênes ne franchiront pas.

Tullia, dont le nouvel hymen n'a pu s'accomplir que par un crime, excite sans relâche par ses discours l'ambition de son époux. "Était-ce donc pour vivre dans le respect de tous les devoirs, que nous avons uni ceux qui étaient dignes l'un de l'autre, [6, 590] en égorgeant toi ma soeur, moi ton frère? Il fallait laisser la vie à ton épouse, à mon époux, si notre main ne devait pas frapper plus haut! Que la tête et le trône de mon père soient mon présent nuptial; si tu es un homme, va, prends la dot que je t'annonce. [6, 595] Le crime est un acte de roi, deviens roi par le meurtre de ton beau-père, et que nos mains soient arrosées par le sang paternel." Excité par de tels discours, Tarquin, sujet audacieux, va s'asseoir sur le trône royal; le peuple étonné court aux armes; de là, du sang, des meurtres; la vieillesse succombe; [6, 600] le gendre superbe saisit le sceptre arraché à son