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paroles qui pouvaient me persuader." Elle quitte le rocher et suit le vieillard; celui-ci raconte, chemin faisant, combien son fils est malade, [4, 530] comme ses nuits se passent sans dormir, comme la souffrance ne lui laisse aucun repos. Avant de pénétrer dans l'humble demeure, Cérès cueille dans les champs le doux pavot qui invite au sommeil; mais, en le cueillant, on dit que, par mégarde, elle le porta à sa bouche, et que, sans le vouloir, elle mit ainsi fin à sa longue abstinence. [4, 535] Comme ce fut à l'entrée de la nuit qu'elle rompit ce jeûne, les initiés ne prennent de la nourriture qu'au moment où les étoiles paraissent. À peine Cérès a-t-elle passé le seuil, qu'elle voit partout l'image de la douleur; on n'avait déjà plus aucun espoir de sauver l'enfant. Elle salue Métanire, c'est le nom de la mère, [4, 540] et daigne coller sa bouche à la bouche de l'enfant. Soudain la pâleur disparaît; une force nouvelle vient animer ce corps épuisé, tant il y a de puissance dans le souffle même des dieux! Toute la famille est dans la joie, et toute la famille, c'est le père, la mère et la jeune fille: ils composent toute la maison. [4, 545] Bientôt on sert le repas: du lait caillé, des fruits, de tendres rayons, remplis d'un miel doré. La puissante Cérès s'abstient d'y toucher; et, pour assoupir l'enfant, elle lui fait boire du lait tiède mêlé au suc des pavots. On était au milieu de la nuit; partout régnaient le silence et le sommeil; [4, 550] Cérès prend Triptolème sur son sein; trois fois elle le caresse de la main, trois fois elle répète des paroles magiques, que la bouche d'un mortel ne saurait prononcer: elle approche du foyer le corps de l'enfant, le couvre de charbons enflammés, pour que le feu le purifie et dévore son enveloppe mortelle. [555] La mère se réveille en sursaut; et aveuglée par sa tendresse, elle s'écrie, hors d'elle-même: "Que faites-vous?" Et elle arrache des flammes le corps de son fils. "Trop d'affection, lui dit la déesse, t'a rendue dénaturée; ta frayeur maternelle anéantit tous mes bienfaits: ton fils ne sera qu'un simple mortel; mais le premier des hommes [4, 560] il labourera, il sèmera, et les moissons qu'il coupera dans les campagnes seront le prix de ses travaux."

Elle dit, sort et s'enveloppe d'un nuage; elle retrouve ses dragons, et disparaît sur son char ailé. Elle abandonne le Sounion battu des flots, le Pirée, asile sûr pour les navires, et les côtes qui s'étendent à droite. [4, 565] Elle gagne ensuite la mer Égée, où elle aperçoit toutes les Cyclades; elle effleure l'insatiable mer Ionienne et celle qui porte le nom d'Icare; elle arrive, par les villes d'Asie, au long détroit de l'Hellespont, et sa route s'égare dans les mille régions de l'air. De là elle découvre tantôt les Arabes qui recueillent l'encens, tantôt les Indiens, [4, 570] ici la Libye, là Méroé et le désert aride; ou bien elle se rapproche des Hespériens, du Rhin, du Rhône, du Pô, et de tes ondes, ô Tibre, destinées à tant de gloire.