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sa cendre l’hommage de ses derniers dons. Du moins une sœur a partagé la douleur de sa mère infortunée, et, se déchirant les cheveux, est venue pleurer sur lui. Némésis et ta première amante t’ont donné ensemble un dernier baiser et n’ont point laissé un instant ton bûcher abandonné. Délie disait en s’éloignant : "C’est moi que ton amour a rendue la plus heureuse ; tu vivais, alors que j’étais l’objet de ta flamme." Que dis-tu, reprit Némésis, est-ce à toi à pleurer sur mon malheur ? C’est moi qu’en mourant il pressa de sa main défaillante."

Si cependant il reste de nous quelque chose de plus qu’un nom et qu’une ombre, Tibulle habitera dans les champs de l’Élysée. Viens au-devant de lui, avec ton cher Calvus, et le front couronné de lierre, jeune et docte Catulle ; et toi aussi, si l’on t’accuse à tort d’avoir outragé un ami, viens-y, Gallus, si prodigue de ton sang et de ta vie[1].

Voilà les ombres que doit rejoindre la tienne, si toutefois l’ombre d’un corps est quelque chose ; à leurs tendres accents, tu as uni les tiens, élégant Tibulle. Puissent tes os reposer tranquilles dans l’urne qui les renferme ! Puisse la terre n’être point pesante à. ta cendre !


ÉLÉGIE X.

Voici l’anniversaire des fêtes de Cérès ; dans son lit solitaire repose la beauté, loin de son amant. Blonde Cérès, dont la flottante chevelure est couronnée d’épis, pourquoi, le jour de ta fête vient-il nous interdire le plaisir ? Partout, ô déesse ! les peuples s’entretiennent de ta munificence, et nulle autre divinité n’est plus favorable aux mortels.

Avant tes bienfaits, les grossiers habitants des campagnes ne cuisaient pas le pain, et l’aire était un nom ignoré d’eux ; mais les chênes d’où sortirent les premiers oracles produisaient des glands : le gland et l’herbe tendre, dérobée au gazon, étaient toute la nourriture des mortels. Cérès leur enseigna la première à confier à la terre le grain qui devait y grossir, et, la faucille en main, à moissonner l’épi doré ; la première elle força les taureaux à soumettre leur front au joug et à fendre, avec le tranchant de la charrue, la terre longtemps oisive. Qui croirait que la même déesse aime à voir couler les larmes des amants, et qu’elle soit honorée par leurs tourments et leur continence ? Non, quoiqu’elle se plaise à la vie laborieuse des champs, elle n’a point la rudesse qu’ils donnent, et son cœur n’est pas fermé à l’amour ; j’en atteste la Crète, et tout n’est point fiction dans cette Crète si fière d’avoir nourri Jupiter. C’est là que le souverain de l’empire céleste suça, de ses lèvres enfantines, un lait bienfaisant. Ce témoignage mérite toute confiance, il est confirmé par les louanges du nourrisson, et Cérès conviendra, je pense, d’une faiblesse bien connue.

  1. On n’est pas d’accord sur la cause de la mort de Gallus, préfet d’Égypte et ami de Tibulle.