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ordonna à ses eaux de se retirer ; et, à son ordre, les eaux se retirèrent. Je ne t’oublierai pas non plus, toi qui, fuyant au milieu des rochers creusés par ton onde, arroses en frémissant la campagne de l’argienne Tibur ; ni toi à qui plut Élia, toute négligée que fût sa parure, et quoique ses ongles n’eussent épargné ni sa chevelure ni son visage. Pleurant sur le crime de son oncle et sur l’attentat de Mars, elle errait, pieds nus, dans les endroits solitaires ; le fleuve généreux l’aperçut, du sein de ses flots rapides : élevant alors sa tête au-dessus de son lit, il fit entendre sa voix sonore : "Pourquoi, lui dit-il, errer sur mes rives d’un air inquiet, belle Ilia, fille de l’Idéen Laomédon ? Qu’as-tu fait de ta parure ? Pourquoi courir ainsi abandonnée ? Pourquoi la blanche bandelette ne retient-elle pas les tresses de ta chevelure ? Pourquoi pleurer et flétrir par des larmes tes paupières humides ? Pourquoi ta main insensée meurtrit-elle ainsi ton sein nu ? Il faut avoir un cœur de roche ou de bronze pour voir, sans en être touché, des pleurs couler sur un beau visage. Ilia, rassure-toi : mon palais te sera ouvert, les Fleuves formeront ta cour ; Ilia, rassure-toi, cent Nymphes, et plus encore, obéiront à tes lois ; car cent Nymphes, et plus encore, habitent au fond de mes eaux. Fille du sang troyen, ne me dédaigne pas ! voilà tout ce que je te demande ; mes présents surpasseront mes promesses."

Il avait dit ; et, les yeux modestement baissés vers la terre, la plaintive Ilia laissait tomber sur son sein la tiède rosée de ses pleurs. Trois fois elle essaya de fuir, trois fois l’onde profonde la vit enchaînée sur ses bords. La crainte lui ôtait la force de courir ; elle porta enfin sur ses cheveux une main ennemie, et de sa bouche tremblante sortirent ces plaintes amères : "Plût aux dieux que, vierge encore, ma cendre eût été recueillie et renfermée dans le tombeau de mes pères ! Pourquoi m’offrir les torches de l’hymen, à moi, hier vestale, aujourd’hui dégradée et indigne de veiller au feu sacré d’Ilion ? Qu’attendre encore ? Déjà le doigt du passant me montre comme une adultère. Périsse avec moi cette honte trop légitime qui me couvre le front ! "

Elle dit ; et, cachant sous sa robe ses yeux gonflés de larmes, elle s’abandonne au courant de l’onde rapide. Le Fleuve porta, dit-on, pour la soutenir, sa main lascive sous sa poitrine, et l’admit dans son lit à titre d’épouse.

Toi aussi, tu as sans doute brûlé pour quelque belle ; mais les bois et les forêts tiennent vos crimes cachés. Pendant que je parle, tes flots vont toujours grossissant, et ton lit n’est déjà plus assez profond pour les contenir. Qu’ai-je à démêler avec toi, fleuve furieux ? Pourquoi différer les plaisirs de deux amants ? Pourquoi interrompre aussi brutalement ma course ? Si au moins, fleuve orgueilleux, tu ne devais qu’à toi les eaux que tu roules ; si tu