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de décider laquelle a le plus de talent. La première l’emporte en beauté sur la seconde, la seconde sur la première ; c’est tantôt celle-ci, et tantôt celle-là qui me plaît davantage. Comme l’esquif battu par des vents opposés, mon cœur flotte partagé entre ces deux amours. Pourquoi, déesse du mont Éryx, multiplier ainsi mes éternels tourments ? N’était-ce pas assez des soins que me donnait une seule maîtresse ? Pourquoi ajouter des feuilles aux arbres, des étoiles au ciel, et des eaux nouvelles à l’immensité de l’Océan ?

Mieux vaut pourtant ce double amour que de languir sans aimer. A mes ennemis, une vie sans jouissances ; à mes ennemis, le sommeil sur une couche solitaire, et le repos dans un lit qui n’est point partagé. Pour moi, je veux que le cruel Amour m’arrache aux longueurs du sommeil, et que mon corps n’affaisse pas de son seul poids le duvet de ma couche ; qu’une maîtresse puisse sans obstacle épuiser mon amour, si une seule peut le faire ; et si ce n’est assez d’une, qu’elles soient deux. Un corps sec, il est vrai, mais non débile, suffira à cette tâche ; c’est l’embonpoint, et non la vigueur qui lui manque. D’ailleurs, la volupté armera mes flancs de forces nouvelles ; jamais, dans cette lutte, aucune belle ne fut trompée par moi. Souvent, après une nuit de plaisirs, elle m’a trouvé, le matin, encore dispos et vigoureux athlète. Heureux qui succombe dans les duels de Vénus !

Fassent les dieux que j’y trouve le trépas ! que le soldat présente sa poitrine aux traits ennemis ; qu’il achète de son sang un nom immortel ; que l’avare aille au loin chercher les richesses, et qu’englouti par la mer qu’a lassée son navire, il en boive les eaux de sa bouche parjure. Pour moi, je veux vieillir sous la bannière de Vénus ; je veux mourir au milieu de l’action, et qu’on puisse dire, en pleurant sur mon tombeau : "Il est mort comme il a vécu."


ÉLÉGIE XI.

Dépouille du mont Pélion, c’est l’Argo qui, le premier, s’ouvrit une fatale route sur les flots étonnés de la mer ; c’est ce navire audacieux qui, voguant à travers les écueils semés sur son passage, revint chargé du bélier à la jaune toison. Plût au ciel que les flots courroucés eussent englouti l’Argo, afin que nul mortel n’osât tourmenter de sa rame l’étendue des mers ! Voici que, délaissant sa couche accoutumée et ses pénates domestiques, Corinne va se confier à l’élément trompeur. Hélas ! pourquoi me forcer à craindre pour toi et Zéphyre et l’Eurus, et le froid Borée et le tiède Notus ? Tu