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coursiers d’un prince d’Hémome ? Mais dès que j’ai célébré la beauté d’une jeune fille, elle vient d’elle même trouver le poète pour le payer de ses vers. C’est là une grande récompense. Adieu, héros et vos illustres noms ! Ce ne sont point vos faveurs que j’ambitionne. Pour vous, jeunes beautés, daignez sourire aux vers que me dicte l’Amour aux joues de rose.


ÉLÉGIE II.

O toi, Bagoas, à qui est confié le soin de garder ta maîtresse, écoute. Je n’ai que quelques mots à te dire ; mais ils sont importants. Hier je l’ai vue se promenant sous le portique des filles de Danaüs[1] ; aussitôt, épris de ses charmes, je lui adressai par écrit ma prière ; sa main tremblante me répondit le mot "impossible ; " pourquoi, "impossible ? " lui demandai-je ; elle me répondit que ta surveillance était trop rigide.

Si tu fais bien, gardien sévère, cesse, crois-moi, de mériter la haine ; se faire craindre, c’est faire désirer sa perte. Son mari lui-même est un insensé ; car pourquoi se tourmenter à défendre un bien qui, pour rester intact, n’a pas besoin de surveillant ? Laissons-le se livrer en furieux aux transports de son amour ; laissons-le croire à la pureté d’une femme qui plaît à tout le monde ; pour toi, accorde-lui en secret quelques heures de liberté ; ce que tu lui en donneras te sera bien rendu par elle. Deviens son complice, et la maîtresse obéit bientôt à son esclave. Cette complicité t’effraie ? Eh bien ! tu peux fermer les yeux. Lit-elle à l’écart un billet ? suppose qu’il lui vient de sa mère. Un inconnu se présente-t-il ? qu’il entre comme si tu le connaissais déjà. Va-t-elle voir une amie malade, qui ne l’est pas ? figure-toi qu’elle l’est en effet. Te fait-elle attendre ? tu peux, pour ne pas te fatiguer, appuyer ta tête sur tes genoux, et ronfler à ton aise. Ne t’informe jamais de ce qui peut se passer au temple d’Isis, ne t’inquiète pas de ce qui peut se faire dans l’enceinte des théâtres.

Un complice discret sera toujours comblé d’honneurs ; et pourtant est-il rien de plus facile que de se taire ? Il est aimé, il mène toute la maison ; il n’a point les étrivières à redouter : il est tout-puissant ; aux autres, vil troupeau, l’esclavage ! Pour cacher au mari la vérité, il lui fait d’adroits mensonges ; et, maîtres tous les deux, ils trouvent bon ce qui ne plaît qu’à la femme. Que le mari fronce le sourcil, que son front se charge de rides, ce que veut une femme elle l’obtiendra par ses caresses. Mais il faut que, de temps en temps, il naisse entre vous des querelles ; il faut qu’elle verse des larmes feintes, et te traite de bourreau ; alors, de ton côté, trouve-lui des torts dont elle puisse aisément se justifier ; et, par de fausses accusations,

  1. Il s’agit du portique d’Apollon Palatin, où étaient représentées les cinquante Danaïdes.