Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/142

Cette page n’a pas encore été corrigée

dieux t’en préservent !) ne les fit point tomber ; ce n’est pas non plus la jalousie d’une rivale qui diminua leurs flots ondoyants ; la seule coupable, c’est toi, et tu es punie de ta propre faute. Oui, c’est toi-même qui sur ta tête as versé le poison. Maintenant la Germanie t’enverra les cheveux de ses esclaves ; an tribut d’une nation vaincue tu emprunteras ta parure. Lorsqu’un amant louera ta chevelure, que de fois, la rougeur au front, tu diras : "Ce qu’il vante aujourd’hui, je l’ai acheté. Je ne sais en ce moment quelle Sycambre il admire en moi ; et cependant, je m’en souviens, il fut un temps où ces éloges ne s’adressaient qu’à moi. "

Malheureux ! Qu’ai-je dit ? elle a peine à retenir ses larmes ; de sa main elle cache son visage, et la rougeur a coloré ses joues charmantes ! Sur ses genoux elle ne craint pas de contempler ces cheveux d’autrefois, si peu faits, hélas ! pour la place qu’ils occupent aujourd’hui. Ah ! que ton visage cesse de trahir le trouble de ton cœur ; le mal n’est point irréparable ; bientôt tu redeviendras belle de ta première chevelure.


ÉLÉGIE XV.

Pourquoi, mordante Envie, m’accuser de passer mes ans à ne rien faire, et appeler mes vers l’œuvre de la paresse ? Pourquoi me reprocher de ne pas marcher sur les traces de mes pères, et de ne point profiter de la vigueur de mon âge pour briguer le laurier poudreux du dieu de la guerre ; de négliger l’étude de nos lois et leur verbiage, et de ne point prostituer mon éloquence aux luttes vénales du barreau ? Les travaux dont tu parles sont périssables ; je vise, moi, à une gloire immortelle ; être célébré toujours et dans tout l’univers, voilà mon ambition.

Le chantre de Méonie[1] vivra tant que subsisteront Ténédos et l’Ida, tant que le rapide Simoïs roulera dans la mer le tribut de ses eaux. Il vivra aussi, le poète d’Ascra[2], tant que la grappe mûrira à la vigne, tant que les dons de Cérès tomberont sous le tranchant de la faucille. Le monde entier chantera toujours le fils de Battus[3], quoiqu’il ait plus d’art que de génie. Le cothurne de Sophocle ne s’usera point. Aratus vivra aussi longtemps que le soleil et la lune. Tant que l’esclave sera fourbe, le père plein de dureté, l’entremetteuse perfide, et la courtisane caressante, Ménandre vivra. Ennius, qui ne connut point l’art, Accius, dont les accents étaient si mâles, ont un nom qui ne redoute point le temps. Quel siècle ne connaîtra Varron[4] et le premier esquif, et cette toison conquise par le chef Ausonien ? Les vers du sublime Lucrèce ne périront que le jour où périra le monde. Tityre et les moissons, Énée et ses combats auront des lecteurs tant que Rome sera souveraine de l’univers

  1. Homère.
  2. Hésiode
  3. Callimaque, fils de Battus, poète élégiaque.
  4. Il s’agit du poéme des Argonautes, composé par Apollonius de Rhodes, et traduit en vers latins par Varron Aticanus.