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jambes ne soient jamais jointes ; ne laisse pas son pied grossier s’unir à ton pied délicat.

Malheureux ! je crains mille choses, parce que ma passion se les est permises. Ma propre expérience cause aujourd’hui mes alarmes. Que de fois, ma maîtresse et moi, nous avons su trouver sous nos vêtements un hâtif et doux plaisir ! Tu ne feras pas de même ; mais, pour m’épargner tout soupçon, dépouille tes épaules du voile heureux qui les couvre ; qu’à ta prière, ton mari boive sans cesse ; mais que des baisers n’accompagnent point tes prières. Pendant qu’il boira, ne cesse de lui verser furtivement du vin pur ; quand il sera tout-à -fait plongé dans l’ivresse et dans le sommeil, nous n’aurons à prendre conseil que du lieu et de notre passion. Lorsque tu te lèveras pour retourner chez toi, chacun de nous suivra ton exemple. Souviens-lui de te mêler à la foule ; tu m’y trouveras, ou bien je t’y trouverai ; et alors que ta douce main me touche partout où tu pourras. Hélas ! mes instructions ne doivent servir que pour quelques heures ; il faut quitter ma maigrisse, la nuit l’exigé. Il la tiendra enfermée jusqu’au jour, et moi, triste et baigné de larmes, je ne pourrai que la suivre jusqu’à cette porte cruelle. Il lui ravira des baisers, il fera même plus que de lui ravir des baisers ; les faveurs que tu lui accordes à la dérobée, il les exigera comme un droit. Ne les lui accorde au moins qu’à regret, tu le peux, et comme cédant à la violence. Que tes caresses soient sans amour, et que Vénus lui soit amère ! Si mes vœux, si mes désirs sont remplis, il n’éprouvera aucune jouissance ; toi, du moins, n’en éprouve aucune dans ses bras. Au reste, quelle que soit l’issue de cette nuit, assure-moi demain que tu ne lui as rien accordé.


ÉLÉGIE V

C’était l’été, le soleil avait parcouru la moitié de sa course ; je me jetai sur mon lit, cherchant le repos. Mes fenêtres n’étaient ouvertes qu’à demi ; le jour qu’elles laissaient pénétrer jusqu’à moi ressemblait à celui des bois ; tel le crépuscule qui luit encore lorsque Phébus a quitté le ciel, ou celui qui marque le passage de la nuit, à l’aurore[1] ; c’était le demi-jour qui convient à la beauté timide, dont la pudeur craintive invoque le mystère.

Corinne vient alors, la tunique relevée, les cheveux flottants de chaque côté sur sa gorge, d’albâtre. Telle la belle Sémiramis marchait, dit-on, vers la couche nuptiale ; telle encore Laïs accueillait ses nombreux amants. Je la dépouillai de sa tunique, dont le tissu léger ne me cachait cependant aucun de ses appas. Corinne toutefois faisait, pour la garder, quelque résistance ; mais ce combat n’étant point celui d’une femme qui veut vaincre, elle consentit bientôt sans peine à être vaincue.

  1. Voici comme La Fontaine a rendu la même idée.

    … Soit lorsque la lumière
    Précipite ses traits dans l’humide séjour ;
    Soit lorsque te soleil rentre dans sa carrière,
    Et que n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour.

    LA FONTAINE.