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ÉLÉGIE IV.

Ton mari doit assister au même banquet que nous ; que ce soit, je t’en conjure, le dernier souper auquel il soit présent. Ainsi, ce n’est que comme convive que je pourrai contempler ma bien-aimée ; un autre aura le privilège de la toucher. Voluptueusement couchée à ses pieds, tu réchaufferas le sein d’un autre ; ses mains, quand il le voudra, caresseront ton cou. Cesse de t’étonner si, au festin de ses noces, la belle Hippodamie entraîna aux combats les monstrueux centaures. Je n’habite point comme eux les forêts ; comme eux je ne suis point moitié homme et moitié cheval ; et pourtant je ne pourrai me défendre, je le sens, de porter sur toi une main amoureuse. Apprends toutefois ce que tu auras à faire, et garde-toi de livrer mes paroles au souffle de Eurus ou à la tiède haleine des Zéphirs.

Aie soin d’arriver avant ton mari ; je ne prévois point quel parti j’en pourrai tirer ; n’importe, arrive avant lui. Quand il sera couché près de la table, tu iras, d’un air modeste, te placer à côté de lui, et que ton pied, alors, touche en secret le mien ; aie les regards fixés sur moi ; observe tous mes mouvements et le langage de mes yeux ; recueille à la dérobée, et renvoie-moi de même ces signes de notre amour. Sans que je recoure à la parole, l’expression de mes sourcils t’expliquera ma pensée ; tu la liras sur mes doigts, tu la liras aussi dans quelques gouttes de vin répandues sur la table. Quand la pensée de nos plaisirs te viendra à l’esprit, caresse d’un doigt léger l’incarnat de tes joues ; si tu as quelque reproche à me faire, qu’au bout de ton oreille s’arrête mollement ta main ; quand mes gestes ou mes paroles te feront plaisir, aie soin, ma belle amie, de rouler ton anneau autour de ton doigt.

Que ta main touche la table, comme le sacrificateur touche l’autel. Lorsque tu appelleras sur la tête de ton mari tous les maux qu’il mérite, exige qu’il boive lui-même le vin qu’il t’aura versé ; puis, tout bas, demande à l’esclave le vin que tu préfères. Je m’emparerai le premier de la coupe que tu auras rendue ; où tes lèvres auront bu mes lèvres boiront aussi. S’il t’offrait un mets auquel il eût goûté le premier, repousse ce mets que sa bouche a touché ; ne souffre pas que ses bras, dignes d’une telle faveur, osent caresser ton cou. Sur ce cœur sans amour n’appuie point alors ta tête charmante ; que de ton sein, que de ta gorge instruite aux plaisirs, il n’approche pas un doigt téméraire. Garde-toi surtout de lui donner aucun baiser ; si tu lui en donnes un, je me déclarerais aussitôt ton amant, "Ces baisers m’appartiennent ! " m’écrierais-je, et je viendrais les lui disputer. Les caresses, je les verrai du moins ; mais celles qui seront voilées à mes regards, oh ! voilà ce que redoute mon aveugle tendresse, Que ton genou ne touche point le sien, que vos