Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/125

Cette page n’a pas encore été corrigée

ÉLÉGIE PREMIÈRE.

J’allais chanter, sur un rythme grave, les armes et les combats sanglants[1] ; ce sujet convenait à mes vers ; chacun d’eux était d’égale mesure. Cupidon se prit, dit-on, à rire, et en retrancha un pied. Qui t’a donné, cruel enfant, ce pouvoir sur les vers ? Poètes, nous formons le cortège des Muses, et non le tien. Que serait-ce si Vénus se couvrait de l’armure de la blonde Minerve, et si la blonde Minerve agitait les torches ardentes ? Qui pourrait sans surprise voir Cérès régner sur tes monts couronnés de bois, et le laboureur cultiver son champ sous les auspices de la Vierge au carquois ? Phébus à la belle chevelure doit-il m’apparaître armé de la lance acérée, pendant que Mars fera résonner la lyre d’Aonie ? Grand, trop grand sans doute est ton empire, cruel enfant ! Pourquoi, jeune ambitieux, prétendre à une autorité nouvelle ? Le monde entier, l’Hélicon et la vallée de Tempé ont-ils reconnu tes lois ? Apollon lui-même ne serait-il déjà plus maître de sa lyre ? Par un premier vers, je préludais noblement à un nouvel ouvrage, quand l’Amour vint aussitôt arrêter mon essor. Pour en faire le sujet de vers plus légers, je n’ai à chanter ni un jeune enfant ni une jeune fille à la longue et brillante chevelure.

Je me plaignais encore, lorsque soudain l’Amour, détachant son carquois, choisit les traits destinés à me percer[2] ; d’un bras vigoureux il banda sur son genou son arc flexible. "Reçois, poète, me dit-il, un sujet pour tes chants." Malheureux que je suis ! les flèches d’un enfant ont atteint le but qu’il leur avait assigné : Je brûle ; l’Amour règne dans mon cœur libre jusqu’à ce jour. Mon premier vers aura six pieds et

  1. Ovide veut parler de sa Gigantomachie, ou guerre des géants, poème qu’il avait commencé. (Voyez le livre suivant, Eleg, II.)
  2. On trouve dans Properce à peu prés le même vers
    Omnia in exilium nata theatre meum. Lib.II, el. XVIII, 4.