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les poisons magiques, je voudrais être à toi : méprise celle qui te méprise ; aime celle qui t’aime, et, du même coup, venge-nous tous les deux. — Non, répondit Glaucus ; on verra plutôt les forêts verdir dans la mer, et les algues marines pousser sur les montagnes, que mon amour changer, tant que durera la vie de Scylla. » La déesse s’indigne ; elle ne peut et elle ne voudrait pas, d’ailleurs, se venger sur le dieu qu’elle aime ; mais toute sa colère se tourne contre celle qu’on lui préfère. Furieuse de cet affront, elle broie d’horribles plantes et mêle à leurs poisons des paroles infernales : puis, enveloppée de ses voiles d’azur, elle sort de son palais, à travers les monstres qui la flattent sur son passage, et elle s’élance vers Rhégium. Elle marche sur les flots, comme sur le terrain solide du rivage, et ses pieds effleurent, sans se mouiller, le dos écumant des vagues. Il y avait une anse étroite, au contour sinueux, où Scylla aimait à venir goûter le repos et la fraîcheur, à l’abri d’une mer agitée et d’un ciel en feu, lorsque le soleil, au plus haut de sa course, avait ramené l’ombre au pied des chênes. C’est là que Circé verse, avec ses poisons, d’horribles germes. Le suc de ses herbes vénéneuses souille et corrompt les eaux ; et les lèvres de l’enchanteresse murmurent neuf fois des mots étranges et ténébreux. Scylla vient ensuite ; et à peine est-elle à moitié descendue dans l’onde, qu’elle se voit avec horreur entourée de monstres aboyants. D’abord, elle ne sait pas qu’ils font partie de son corps ; elle veut fuir, elle les repousse, elle craint leurs dents hideuses : mais en fuyant elle les traîne avec elle ; ses cuisses, ses jambes, ses pieds, ont disparu ; elle les cherche et ne trouve à leur place que des gueules béantes, que des chiens hurlants, au corps difforme, et qui la pressent dans une affreuse ceinture.

Glaucus versa des larmes et fuit avec horreur les caresses de Circé, dont les poisons avaient trop odieusement servi la haine. Scylla resta dans ce lieu ; et bientôt elle put se venger de Circé, en dévorant les compagnons d’Ulysse(2). Elle allait aussi submerger les vaisseaux troyens, lorsqu’elle fut changée en un rocher, qui se dresse encore aujourd’hui sur les eaux, et que les matelots évitent avec effroi.

II. Les Troyens avaient, à force de rames, échappé à Scylla et à l’avide Charybde. Déjà ils apercevaient les côtes de l’Ausonie, lorsqu’un vent furieux les repousse sur le rivage africain. Là, Didon accueille Énée dans son palais ; mais elle accueille aussi dans son âme l’amour du héros dont elle ne devait pas supporter l’abandon : couchée sur un bûcher, qu’elle a fait élever sous le prétexte d’offrir un sacrifice, elle meurt de sa main, et, trompée par Énée, elle trompe tous ceux qui l’entourent. Énée fuit les murs