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la moisson. Pendant neuf jours elles se refusent à Vénus, aux joies de l’hymen que la chasteté condamne. Au milieu d’elles, la reine Cenchréis, éloignée de son époux, célèbre les pieux mystères. Or, tandis que l’épouse fuit la couche nuptiale et ses légitimes plaisirs, la nourrice que son zèle égare, trouvant Cinyre échauffé par l’ivresse, lui peint sous un faux nom l’amour, hélas ! trop réel, d’une jeune fille dont elle lui vante les attraits. Cinyre demande son âge : « L’âge de Myrrha, » dit la nourrice. Elle reçoit l’ordre de l’amener et court en hâte rejoindre son élève. « Bonne nouvelle, ma fille, victoire ! » L’infortunée Myrrha ne livre pas son âme à une entière allégresse ; un sinistre pressentiment l’accable, et toutefois elle se réjouit, tant le cœur est plein de contradiction.

Voici l’heure du silence. Parmi les étoiles de l’Ourse, le Bouvier dirige obliquement le timon de son char. Myrrha va consommer son crime. La lune s’enfuit. Elle voile son front argenté. Les astres obscurcis se couvrent de sombres nuages. La nuit éteint ses flambeaux. Le premier de tous, Icare dérobe sa face à la pieuse trigone que l’amour filial immortalise. Coupable Myrrha ! Trois fois elle chancelle sans retourner en arrière ; trois fois le hibou répète à son oreille son lugubre avertissement. Elle va… La nuit, les profondes ténèbres affaiblissent encore un reste de pudeur ; d’une main elle tient la main de sa nourrice, de l’autre elle tâte l’ombre et interroge l’obscurité. Déjà elle touche au seuil nuptial ; déjà la porte s’ouvre ; déjà elle pénètre dans l’enceinte. Mais ses genoux tremblants fléchissent ; pâle, glacée, ses forces l’abandonnent en chemin. Plus l’instant fatal avance, plus elle frémit d’horreur, plus elle se repent d’avoir osé. Que ne peut-elle, sans être connue, revenir sur ses pas ! Elle hésite. La vieille l’entraîne par la main ; elle la pousse vers le lit pompeux, et, la livrant à Cinyre : « La voilà, dit-elle, elle est à vous ; » et d’horribles embrassements les unissent.

Cinyre reçoit la fille de ses entrailles dans sa couche incestueuse. La jeune fille tremble ; il la rassure, il apaise son effroi. Peut-être usant des droits de l’âge, il l’appelle mon enfant, peut-être répond-elle « mon père. » Rien ne doit manquer au crime, rien, pas même les noms.

Myrrha sort du lit paternel. Ô forfait ! elle est mère ! Elle porte dans son flanc le gage d’un amour odieux, elle a conçu de l’inceste ! La nuit du lendemain renouvelle sa honte, et cette nuit n’est pas la dernière. Mais enfin Cinyre veut connaître son amante, après tant de doux plaisirs ; un flambeau la montre à ses yeux : il voit sa fille et son déshonneur. La parole expire sur sa bouche ; furieux, il saisit son épée suspendue aux parois. Le fer brille hors du fourreau. Myrrha s’enfuit dans les ténèbres ; la nuit sombre la dérobe à la mort. Seule, errante dans les vastes campagnes, elle abandonne les palmiers de l’Arabie et les