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les métamorphoses

soumet aussi à ses lois, et m’y soumet moi-même : c’est une raison pour vous de les subir sans murmurer ; si je pouvais les changer, mon fils Éaque ne serait plus courbé par l’âge ; Radamanthe et Minos, mon fils bien-aimé, conserveraient éternellement la fleur de leurs jeunes années ; Minos, dont la triste vieillesse est en butte au mépris, et qui ne gouverne plus ses états avec la même sagesse. » Les paroles de Jupiter apaisent les dieux : personne n’ose se plaindre en voyant Radamanthe, Éaque et Minos affaissés sous le poids des années ; Minos, qui, dans la force de l’âge, avait, par son nom seul, porté la terreur chez des peuples puissants, vieux et faible aujourd’hui, tremble devant le fils de Déione, Milet, orgueilleux de sa jeunesse robuste, et d’avoir pour père Apollon ; il craint que Milet n’attente à sa puissance, et cependant il n’ose l’éloigner de ses états. Mais tu t’exiles toi-même, ô Milet ! ta proue rapide mesure les flots de la mer Égée, et, sur les rivages de l’Asie, tu bâtis une ville qui porte le nom de son fondateur. C’est là que tu vis la fille du Méandre, Cyané, errant sur les bords sinueux du fleuve paternel, qui se replie tant de fois sur lui-même ; cette Nymphe, célèbre par sa beauté, donna le jour à deux jumeaux, Byblis et Caunus. L’exemple de Byblis doit apprendre aux jeunes filles à ne concevoir que des feux légitimes. Violemment éprise de Caunus, elle l’aima plus qu’une sœur ne doit aimer son frère. D’abord elle ne soupçonne pas sa flamme ; elle ne se croit point criminelle en prodiguant les baisers à son frère, en jetant ses bras autour de son cou ; longtemps abusée par l’apparence mensongère de la tendresse fraternelle, cette tendresse dégénère insensiblement en amour ; pour venir voir son frère, elle se pare, et désire avec trop d’ardeur de lui paraître belle ; trouve-t-elle auprès de lui quelque beauté qui l’efface, elle éprouve un dépit jaloux ; mais elle ne se connaît point encore : l’ardeur qui la dévore ne lui inspire aucun désir, et pourtant l’amour bouillonne dans son cœur. Déjà elle appelle Caunus son maître, déjà elle hait les noms que leur a donnés le sang, et le nom de sœur est moins doux à son oreille que celui de Byblis : cependant elle n’ose, tant qu’elle veille, ouvrir son âme à de coupables espérances ; mais souvent, plongée dans un doux repos, elle voit l’objet aimé ; elle croit s’unir avec son frère, et rougit même dans son sommeil. Le sommeil fuit ; longtemps silencieuse, elle cherche à se retracer les images de la nuit, et laisse parler enfin le trouble de son âme : « Malheureuse ! que m’annoncent les illusions qui m’ont charmées dans le silence de la nuit ? Ah ! puissent-elles ne jamais se réaliser ! Mais pourquoi de semblables rêves ? Caunus n’est que trop beau même pour des yeux ennemis ; il me plaît, et je pourrais l’aimer s’il n’était pas mon frère ; il serait digne de moi ; mais le titre de sœur met obstacle à mon amour.