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les métamorphoses

n’est qu’une fiction mensongère : celui qui fut ton père, ce fut un vrai taureau sans amour pour les génisses. Punis-moi, Nisus, ô mon père ! Murs que j’ai trahis, réjouissez-vous de mes tourments ! je les ai mérités, je l’avoue, et la mort doit être mon juste châtiment. Ah ! du moins, puisse quelqu’un de ceux qu’a perdus mon impiété me donner le coup mortel ! Mais toi qui triomphes par mon crime, devais-tu te charger du châtiment ? Mon crime envers ma patrie et mon père fut un bienfait pour toi ; oui, tu es le digne époux de l’infâme adultère qui, cachée dans les flancs d’une génisse de bois(5) pour tromper un farouche taureau, porta un monstre informe dans ses entrailles. Hélas ! mes cris arrivent-ils jusqu’à tes oreilles, ou mes vaines paroles sont-elles emportées par les mêmes vents que tes voiles ? Ingrat Minos ! je ne m’étonne plus que Pasiphaë t’ait préféré un taureau ; il était moins sauvage que toi. Malheureuse ! il hâte sa fuite ; j’entends les ondes frémir sous le tranchant des rames. Hélas ! il s’éloigne à la fois de moi et du rivage. Tu fuis en vain, en vain tu te dérobes à la reconnaissance, je te suivrai malgré toi, et, serrant dans mes bras ta poupe recourbée, je me ferai traîner sur l’immense Océan. » Elle dit, s’élance dans les ondes et suit à la nage les vaisseaux. L’amour lui donne des forces, et compagne obstinée, elle s’attache à la poupe de Minos. Son père l’aperçoit ; changé récemment en aigle de mer, il se balançait déjà dans les airs sur des ailes noirâtres ; il allait fondre sur elle et la déchirer de son bec recourbé, lorsque, tremblante, elle abandonne la poupe ; au moment de sa chute, un souffle léger semble la tenir suspendue au-dessus des ondes : c’étaient ses propres ailes ; couverte d’un plumage et changée en oiseau, elle porte désormais le nom de ciris(6), en mémoire du cheveu qu’elle déroba.

II. Le vœu que Minos avait fait à Jupiter fut accompli par le sacrifice de cent taureaux, aussitôt que, sorti de ses vaisseaux, il a touché la terre de Crète, et suspendu aux murs de son palais les dépouilles de ses ennemis. Cependant l’opprobre de sa race avait grandi. Un monstre à double forme dévoilait à tous les yeux l’adultère hideux de sa mère. Minos a résolu d’éloigner de son palais cet objet de honte, et de le renfermer dans un labyrinthe impénétrable au jour. Dédale, célèbre dans l’art de l’architecture, pose les fondements de ces murs sinueux ; il confond les signes indicateurs, et embarrasse la vue dans les mille détours de sentiers tortueux. Tel on voit, dans les champs Phrygiens, se jouer le limpide Méandre, et se multiplier les flux et les reflux de sa course douteuse. Quelquefois, allant à la rencontre de ses eaux, il les voit accourir, et il fatigue ses flots incertains, tantôt à remonter vers sa source, tantôt à se précipiter vers la mer. Ainsi Dédale sème l’erreur dans ces routes sans nombre ; à peine lui-même peut-il