Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
364
les métamorphoses

tiède encore, et laisse tomber en même temps de sa bouche quelques paroles, qui doivent évoquer les divinités de la terre. Elle conjure le roi des ombres et l’épouse qu’il enleva, de ne point ravir trop tôt au vieillard le souffle de la vie. Quand elle a fléchi ces dieux par des prières qu’accompagne un long murmure, elle fait apporter près des autels le corps affaibli d’Éson, l’ensevelit par ses enchantements dans un profond sommeil, image de la mort, et le couche sur un lit d’herbes ; elle ordonne ensuite au fils d’Éson et à sa suite de s’éloigner et de détourner leurs profanes regards de ses mystères. À sa voix, on se disperse : alors Médée, les cheveux épars, tourne, comme une bacchante, autour des autels où brille la flamme, plonge des brandons dans la fosse noire de sang, les allume tout sanglants au foyer des deux autels, et purifie le vieillard trois fois avec le feu, trois fois avec l’eau, trois fois avec le soufre.

Cependant le philtre puissant fermente dans un vase d’airain placé sur le brasier ; il bouillonne et fait monter à sa surface une blanche écume. Les racines cueillies dans les vallons d’Hémonie, les semences, les fleurs et les sucs arides cuisent ensemble ; elle y mêle des pierres apportées des confins de l’Orient, et le sable lavé par les flots de l’Océan, quand il rentre dans son lit. Elle ajoute le givre ramassé la nuit aux rayons de la lune, les ailes et la chair infâme du strix(15), les entrailles de ce loup, qui dans ses fréquentes métamorphoses échange ses formes sauvages contre celles de l’homme ; elle n’a point oublié la peau écailleuse et transparente d’un serpent du Cinyphus, le foie d’un vieux cerf, et la tête d’une corneille qui a vécu neuf siècles. De toutes ces substances et de mille autres qu’il est impossible de nommer, elle compose le philtre destiné au vieillard moribond : puis, avec une branche d’olivier depuis longtemps desséchée et sans feuillage, elle les mêle et les remue du fond à la surface. Mais voici que la vieille branche, agitée dans l’airain bouillant, commence à reverdir ; bientôt elle se couvre de feuilles et se charge tout à coup d’olives pleines de suc. Partout même où le feu fait jaillir l’écume hors du vase et tomber sur la terre des gouttes brûlantes, on voit naître le gazon printanier et les fleurs éclore au milieu de gras pâturages. À ce signal, Médée, tirant le glaive du fourreau, ouvre la gorge du vieillard, laisse écouler son vieux sang, et le remplace par des sucs : à peine en a-t-elle abreuvé la bouche et la blessure d’Éson, sa barbe et ses cheveux perdent leur blancheur et deviennent noirs ; sa maigreur disparaît, sa pâleur et sa caducité s’évanouissent ; un nouveau sang circule dans ses veines, et l’embonpoint brille sur tous ses membres. Éson s’étonne et retrouve la vigueur dont il se souvient d’avoir joui quarante ans auparavant.

III. Du haut des cieux, Bacchus a vu cette