Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit dans la boutique soit sur le chemin, les bras chargés d’emplettes, et se signalant toujours par les mêmes bizarreries.

Un hasard singulier me mit en voie de le mieux connaître. Nous nous trouvâmes un jour à suivre le même chemin, et je fus bien forcé de m’en apercevoir, après avoir vu plusieurs fois mon homme se retourner justement aux rues que je devais prendre. Pour des raisons qu’il est inutile de rapporter, et dont la meilleure était la bonne envie de passer le printemps en bon air, je demeurais alors au fond des Champs-Élysées, dans une maison de santé qui devait quelque renommée aux soins de madame Lescot, notre propriétaire, aussi bien qu’à deux beaux jardins bien situés le long de l’avenue de Neuilly ; je laisse à juger de mon étonnement, quand, après avoir suivi notre homme tout le long de cette avenue, je le vis entrer précisément dans le sentier bordé d’acacias qui mène chez madame Lescot.

Heureusement, la bonne dame fut la première personne que je rencontrai dans le salon commun du rez-de-chaussée, et je ne portai pas plus loin ma curiosité.

— Quoi donc, vous ne le connaissiez pas ? me dit ma digne hôtesse, c’est un de mes plus vieux pensionnaires ; mais cela s’explique, il ne mange jamais à table, on le sert dans sa chambre.

Paris est peut-être la seule ville du monde où deux personnes puissent vivre sous le même toit, séparées à peine par une cloison, sans se voir jamais. Rien n’est plus favorable à la mise en scène des romans, et plus propre à nouer les fils d’un conte, surtout si l’on y ajoute une hôtesse