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tréteaux, pareillement habillés et se donnant le bras comme deux amis, sur un pied d’égalité parfaite.

Mais il faut avoir assisté à leurs coups de poing, ou plutôt il faut être un badaud comme moi, pour comprendre cette satisfaction niaise.

C’est donc à ce même défaut que je dois la connaissance du personnage dont je vais parler. J’avais remarqué dans une galerie pleine de boutiques et très-fréquentée, un homme qui avait bien droit à mon attention. Il était grand, maigre, sec, le visage long et pâle, avec une grosse moustache, des yeux enfoncés dans le sourcil, en somme une belle physionomie, mais singulière et gâtée par je ne sais quel air de distraction et d’égarement. Sa mise négligée touchait au ridicule : Il portait une espèce de redingote décorée du ruban de la Légion d’honneur, son col militaire était mal attaché ; les bords de son chapeau grimaçaient autour du front. Il marchait fort vite, d’un air affairé, et, dans trois rencontres différentes, je le vis livré aux mêmes occupations. Il s’arrêtait devant un magasin bien achalandé de jouets d’enfants et parcourait des yeux l’étalage avec toute l’attention d’un choix qui tarde à se fixer. Ce fut là d’abord ce qui m’intéressa.

C’est un bon père, me disais-je, qui ne veut pas rentrer chez lui les mains vides. Nous redevenons enfants avec nos enfants. Quelle étrange et admirable chose que ce sentiment de la paternité !… Le fils de cet homme à moustaches serait-il plus grave que son père devant ces poupées de carton ?

J’étais ému, et je souriais malgré moi, en examinant cette attitude pensive et le regard pénétrant que ce mili-