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embarras pour un raffinement comique. Les têtes du parterre oscillaient dans un accès de gaîté folle, et les cris : Bravo, Collinet ! partirent de tous les coins du théâtre.

Le comédien continua sur ce ton. Les gens des coulisses s’inquiétaient, les interlocuteurs n’y savaient plus rien. Le public riait toujours et pressentait quelque lazzi soudain et inouï. Le flegme du Jocrisse suffisait à nourrir ces transports ; mais comme on n’entendait rien, on cria : Silence ! On écouta. Collinet s’arrêtait, reprenait, bredouillait, mêlant à son rôle des paroles étrangères ; enfin il demeura court. Quelques éclats s’interrompirent. Le souffleur s’épuisait, les acteurs perdaient contenance ; Collinet chancela.

Jocrisse, en cet endroit, devait, à la suite de quelque pantalonade, cabrioler drôlement sur les meubles. Collinet ne bougeait pas. Le régisseur criait de la coulisse, les comédiens s’interrogeaient à voix basse. Le public sentit enfin tout cet embarras. Il y eut un murmure sinistre. Un spectateur cria qu’on manquait une scène, des voix répondirent, on siffla. Cette mortelle minute s’allongeait, le péril croissait, les sifflets reprirent. Collinet fit un pas vers la coulisse, mais une clameur furieuse s’éleva du parterre : « La scène des chaises ! les chaises ! les chaises ! »

Collinet s’appuya contre un décor. On le menaçait de la coulisse, on le menaçait de la salle ; c’étaient des cris, des coups, des sifflets à percer la tête. Le comédien se traîna vers la rampe, mais il ne put parler ; on cria plus fort, et je ne sais quel projectile le frappa au visage ; il se redressa tout à coup comme un tigre atteint ; mais à l’instant