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Grève ; j’imaginai qu’on brûlait Paris ; mais ce n’était, je pense, que le feu des bivouacs de la troupe.

Tiré assez tard d’un sommeil profond, je trouvai dans la salle à manger le pauvre Thibault, que mon père amusait pour le retenir chez lui. On servit le déjeuner, qui traîna en longueur, quoiqu’on ne mangeât guère, ou plutôt parce qu’on ne mangeait point. Après le repas, de telles nouvelles se répandirent et le combat était si vif dans tout Paris, que Thibault lui-même ne put songer à sortir. Je dirai plus, on ne s’inquiéta plus de Thibault ; j’étais peut-être le seul à jeter parfois les yeux sur lui, et ce fut alors que je pus juger cet excellent cœur, ce mélange de candeur naïve et de sensibilité profonde, qui le défendent contre le ridicule et n’amènent à présent sur mes lèvres qu’un sourire de douce compassion. Depuis dix heures du matin jusqu’à deux heures de l’après-midi de ce fameux 29 juillet, c’est-à-dire tandis que la crise était à son comble, tandis que la mitraille, la mousqueterie et le tocsin ne faisaient qu’un tonnerre continu, grondant sur la capitale, Thibault demeura dans le coin d’une pièce où l’on ne faisait que passer, enfoncé dans un fauteuil, levant les yeux au ciel, frappant et joignant les mains, laissant tomber sa tête sur les genoux, poussant des soupirs tirés des entrailles, tantôt plongé dans le silence de la stupeur, et tantôt exhalant à haute voix des plaintes qui pouvaient passer pour des monologues, car il n’y avait là personne à qui les adresser.

— Quelles épreuves !… quel malheur !… est-il bien possible ?… des chrétiens !… nos semblables qui s’égorgent entre eux !… Ah ! mon Dieu !