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J’en étais là de mes réflexions, quand je vis paraître dans les ténèbres de l’avenue deux grandes figures noires, dont l’une semblait s’élever et s’abaisser en marchant ; l’autre avait dans son allure un mouvement d’oscillation plus régulier, mais non moins extraordinaire. Toutes deux ne suivaient rien moins que la ligne droite ; la première déviait au point de se heurter contre les arbres, la seconde exécutait sur les flancs de la première une sorte de voltige en chassez-croisez, qui tantôt l’en rapprochait et tantôt l’en éloignait par saccades. On eût dit, qu’on me passe la comparaison, un vaisseau de ligne et quelque petit bâtiment naviguant de conserve par un gros temps.

Devant des formes si suspectes, je m’arrêtai prudemment. Il se trouva que c’étaient deux hommes dont l’un injuriait l’autre ; le premier se balançait avec effort sur deux jambes de bois, l’autre sautillait sur une seule ; et quant au mouvement de déviation, il était causé par un nombre égal de verres d’eau-de-vie vidés au cabaret voisin.

— Schérer, disait le premier, ces enfants ne sont pas à vous ! c’est moi qui vous le dis ; vous n’êtes qu’un coquin.

Le second s’arrêtait et levait sa canne.

— Vous aurez beau faire, ces enfants ne sont pas à vous, disait l’autre, et vous n’êtes qu’un plat drôle. C’est moi qui vous le dis !

Schérer baissait sa canne et reprenait sa marche. Ma présence envenima la scène.

— Oui, Schérer, s’écria l’agresseur, vous êtes la plus vile canaille de tout l’hôtel ; car ces enfants ne sont pas à