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faisait effort pour la ramener à la surface, je lui tenais d’un poignet de fer la tête, courbée au fond de l’eau. Un moment le courant me souleva avec elle ; elle voulut lutter ; son visage sortit de l’eau ; mais elle rencontra le mien face à face, et son dernier regard y put lire toute ma vengeance. Avec une fureur implacable que l’enfer me prêta, je replongeai cette tête mourante, je me replongeai moi-même avec ma proie, et je la retins désespérément, craignant que la vie ne m’échappât avant d’être vengé. Le corps ne résistait plus ; il glissa de mes mains, et je me retrouvai mourant, échoué sur les roseaux du bord. Je me sentis tout à coup ranimé en revenant à l’air. Je remontai sur la rive ; il y avait sur l’herbe deux ou trois femmes évanouies. Nous n’étions pas loin de la pelouse, mais nous étions cachés par des arbres ; on entendait les cris joyeux de la compagnie qui déjà formait des danses ; on n’avait rien entendu.

Je m’avançai pâle et ruisselant, et cette idée me vint tout à coup ; il faut mentir. Mais je me dis presque aussitôt : non, je ne laisserai pas ces misérables m’arracher un mensonge ; pitoyable rôle, je ne mentirai pas, je les méprise trop ; qu’on fasse de moi ce qu’on voudra. En même temps on venait à ma rencontre ; on jetait des cris, on s’effrayait, on m’interrogeait. J’étendis le bras : — elle est là-bas ! — les jeunes filles accoururent en criant : morte ! morte ! au secours ! noyée ! il s’est jeté pour la sauver !… Je compris que l’erreur de ces femmes me protégerait ; mais tout le monde pâlit à la vue de mon calme farouche et surprenant. On courut au canal, je ne bougeai point, et demeurai presque seul appuyé contre un arbre. J’entendis