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déjeunai. En somme, il était deux heures comme nous partions. Le passage de la Tête-Noire n’est pas dangereux, on n’y trouve ni neige, ni escarpement ; le guide ne prévoyait d’autre inconvénient que d’arriver à Martigny dans la nuit. Mais il nous était réservé des contre-temps extraordinaires.

Après deux heures et demie de marche environ, ayant tourné les premières rampes de rochers, nous découvrîmes un grand espace de ciel et pour ainsi dire un nouvel horizon. Je vis alors le guide lever souvent la tête. Un coin du ciel s’était assombri.

— Vous craignez le mauvais temps ?

— Ce n’est pas ça… c’est que nous pourrions bien… nous pourrions bien avoir de l’orage.

— Et ce chemin ne serait pas sûr ?

— Ce n’est pas ça… c’est que le vent est fort ici dans le courant, il vous enlève un mulet comme une plume.

— Mais est-ce qu’un vent pareil est à craindre ?

Le guide ne répondit pas. Il regardait les nuages qui s’amoncelaient et couvraient peu à peu tout le ciel. Ce passage de la Tête-Noire donne quelque idée du chaos. Imagine des monts, des fleuves, des forêts ; tordus et jetés pêle-mêle ; c’est grand, c’est beau, c’est terrible. Nous étions, j’imagine, à mi-côte d’une chaîne de montagnes, et ce n’était, au-dessus de nos têtes comme sous nos pieds, qu’une espèce de cascade de quartiers de roches et de troncs gigantesques qui s’allaient perdre dans une vallée comme un gouffre d’un côté de la route. J’y avais jeté des pierres que je n’avais point entendu tomber. Un étrange silence régnait dans le site sauvage, troublé seu-