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SCHÉRER L’INVALIDE


J’ai vu souvent le héros de ce conte sur le boulevard qui s’étend entre la rue de Grenelle et la rue de Sèvres. Dans les beaux jours, de midi à deux heures, on le trouvait assis sur un banc, entre deux arbres, sous un rayon de soleil. C’était un héros véritable, celui-là, du moins j’aime à le croire. Je me hâte de prévenir l’erreur des femmes, qui vont s’imaginer un jeune homme pâle et pincé dans un frac noir : Mon homme portait un chapeau militaire dont une corne lui descendait sur l’échine, une capote de gros drap bleu à boutons armoriés ; et si son pied droit était proprement couvert d’une guêtre de cuir, l’autre était simplement représenté par le socle arrondi d’une jambe de bois. À côté de cette jambe reposait fraternellement un bâton d’épine qui lui servait d’auxiliaire.

Il fumait d’ordinaire dans une vieille pipe noire, laquelle ne tenait plus dans sa bouche édentée qu’à l’aide d’un effort des mâchoires qui relevait le menton, tirait le nez, contractait les lèvres et causait des révolutions no-