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AVANT-PROPOS IX

indépendance de pensée, il livre à chacun sa façon de comprendre la vie, il enseigne à tous ce qu’il pense de l’existence, l’emploi qu’on doit en faire, le rapport de notre être fragile à l’universalité des choses. La morale théorique ou plutôt les traités de morale ne sont accessibles qu’à un nombre restreint de cerveaux, qu’à un petit groupe d’hommes ayant fait des études spéciales. Tolstoï, lui, s’adresse à la multitude qui l’écoute avec plaisir pouvant le comprendre sans aucun effort. Ce ne sont jamais ceux qui parlent uniquement à la raison qui sont entendus et compris, mais ceux qui savent émouvoir, éveiller les sentiments. Tolstoï possède cette puissance. Jamais homme ne sentit plus profondément, jamais homme ne parla avec plus d’autorité. Par son absence complète de parti pris, sa clairvoyance redoutable et son objectivité complète, Tolstoï arrive à faire des inconséquences humaines le tableau le plus exact qu’il nous ait encore été donné de contempler. Plus qu’aucun autre, il a vu les contradictions du XIXe siècle, il a compris la réalité des choses, il a pénétré les pensées et les aspirations des hommes. Il n’est tendre ni pour l’homme ni pour la société. Mais s’il attaque le premier, ce n’est pas pour le terroriser, c’est pour purifier sa conscience. Les reproches qu’il envoie à la société ne sont pas enveloppés d’une ironie froide, ils sont pénétrés de souffrance.