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UN SAUVETAGE

Roches-noires. Maurice et Germaine passèrent devant, laissant le baron avec Suzanne.

— Admirable fin de saison, disait le baron et admirable pays, qu’il va falloir quitter… Ce ne sera pas sans une certaine amertume… Partir, dit le poète, c’est mourir un peu.

— Sans doute, dit Suzanne, mais on renaît aux lieux où on arrive.

— En effet je n’avais pas songé à cela.

— Et on garde des souvenirs…

— Oui, des souvenirs… Les uns sont heureux, d’autres pénibles, douloureux, même… Et des amitiés qui se rompent…

— On ne les laisse pas se rompre. Quant aux souvenirs on cultive ceux qui sont heureux, on chasse les autres.

— C’est facile à dire. Ainsi, cette promenade que nous faisons ensemble…

— Dans quelle catégorie de souvenirs allez-vous la classer, cette promenade ? s’écria Suzanne en riant.

— Ne vous moquez pas, reprit-il, je vous le dirai tout à l’heure. J’espère dès maintenant que cette promenade sera délicieuse ; tout s’accorde pour cela ; mais ce qui la mettra au rang des souvenirs inoubliables, c’est le charme de votre divine présence. Marcher à côté de vous, c’est être entraîné dans le sillage de votre rayonnante beauté, et vous voir, c’est recueillir dans ses yeux éblouis toute la céleste lumière, car c’est de vous qu’elle émane. Vous êtes la vie de ce paysage et vous êtes la lumière de cette journée, vous êtes leur palpitation intime, et sans vous ils ne vivraient pas.

— Mais c’est une déclaration que vous me faites là ! dit Suzanne.

— C’est bien mieux encore, Mademoiselle, c’est l’hommage d’une admiration qui ne demande qu’à devenir éternelle, une admiration assez profonde pour s’appeler amour, en effet. Voilà pourquoi ce souvenir sera inoubliable. Sera-t-il heureux ? Je n’ose pas l’espérer, et cela dépend de vous.

— De moi ? demanda innocemment Suzanne.

— Sans doute, Mademoiselle. Bientôt nous allons partir. Vous de votre côté, moi du mien ; peut-être ne nous reverrons-nous plus… Alors, croyez-vous qu’à la douceur du souvenir ne se mêlera pas une lourde amertume ?

Le baron s’arrêta pour juger de l’effet de ses paroles. Suzanne tourna vers lui son beau visage que l’émotion ren-