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quelqu’un manque ce jour-là de pain, de ſouliers & qu’il n’ait pas de quoi ſe procurer un billet, je ne doute pas que vos nobles confrères plus fortunés que vous, s’il en eſt dans votre ſecte, ne vous faſſe cette galanterie & ne vous donne bien à ſouper ce ſoir-là : l’envie pourvoiera à tout, allez, préparez-vous, voici l’heureux moment qui s’avance ». Il arrive, hélas ! — Et je le vois. Déjà je crois entendre au premier coup d’archet le ſignal par les mouchemens de nez, enſuite le Général qui élève ſa voix de taureau, en criant bravo avant qu’on ait commencé. La toile ſe lève, les Acteurs paroiſſent ; paix-là, dit un autre ; les battemens de mains bien ſees & bien payés vont leur train, un petit vent coulis amène ces chſt, chſt, chſt. Une nuée de ſifflets l’accompagne. Les Acteurs déconcertés & la parole en l’air, ne ſçavent s’ils doivent commencer ou finir : ceux-ci, continuez : ceux-là, arrêtez. Tel eſt le pronoſtic de ma Pièce, ou le ſort que certaines eſpèces oſent me promettre ; loin de les craindre, je brave leur vil pouvoir. Incapable de ſentir & de faire le bien, toujours ingrats envers ceux qui leur en font, ils me puniront, ſans doute, de ma généroſité. Eh, qui peut mieux que moi atteſter ce fait ? J’ai pour principe que la bienfaiſance eſt aveugle. Je l’ai verſée ſur de mauvais Sujets ſans ſavoir qui ils étoient, & j’en ai fait de lâches ennemis lorſque j’ai reconnu que je m’étais trompée. Je ſuis forcée de me ſervir de Secrétaire : cet inconvenient m’a expoſé très-ſouvent à connoître de ces hommes ſans état & ſans principes. La fatalité en a fait tomber chez moi dont un homme rougiroit de ſe ſervir ; peu