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préface d’Eugénie, que le tems & les talens lui ont manqué pour devenir auteur. Que n’ai-je ſon ignorance & ſon bonheur ! je ne craindrais pas aujourd’hui pour mon Drame qui fut accueilli à la Comédie françaiſe avec la plus tendre émotion. J’ai vu les Acteurs & les Actrices verſer des larmes d’attendriſſement. Mr. Molé, chargé de le lire, fut obligé d’en interrompre pluſieurs fois la lecture par ſes ſanglots ; il m’a aſſuré qu’après l’avoir lu & relu chez lui, il lui avoit toujours produit le même effet. Je dois lui rendre ici la juſtice qu’il mérite ; je dois à ce grand Comédien les heureux changemens de ma Pièce ; Il m’a fait recommencer quatre fois mon troiſième acte ; je veux même rapporter une de ſes ſaillies en cette circonſtance. La troiſième fois que je lui portai ce dernier acte, il me dit après l’avoir lu : « je n’y ai pas reconnu votre feu Languedocien ; on dirait qu’il eſt ſorti des glaçons du nord » ; mon amour-propre fut piqué à un tel point que je me mis véritablement en colère ; à force d’avoir touché & retouché, je n’avais rien fait de bon, n’en déplaiſe à l’avis du celèbre Boileau. J’ai refondu entièrement le plan de mon dernière acte. J’ai changé totalement le dialogue, & paſſant d’un extrême à l’autre ; Meſſieurs les Comédiens m’ont engagé à le modifier. Je laiſſe au Spectateur le ſoin d’examiner s’il y a aſſez d’action, & ſi je l’ai réduit au point d’émouvoir ſon cœur ſans le révolter.

Ô public ſévère ! ô public indulgent ! pardonnez-moi ces exclamations ; c’eſt à votre tribunal que je ſoumets mon Drame. J’ai eu la manie d’écrire ; j’ai eu celle de me faire imprimer, & je n’ai pas celle de me faire jouer avant de vous avoir