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MARMION

génie, talens ; tout est enseveli pour toujours sous ce marbre, où, — pensée humiliante pour l’orgueil humain ! — le ciel s’est plu à réunir ces deux puissans ministres ! Versez une larme sur le tombeau de Fox, elle ira rouler sur le cercueil de son rival ; dites sur la tombe de Pittla prière des morts, et le monument de Fox renverra vos accens : l’écho solennel qui veille en ces lieux semble redire sans cesse : — Que leurs discordes finissent avec eux ; qu’ils subissent la même loi ceux que le sort a rendus frères dans la tombe ; mais cherchez sur la terre des vivans : — où trouver deux hommes qui puissent les égaler ? —

Reposez-vous, âmes de feu, jusqu’à ce que la voix de la nature expirante aille vous réveiller au fond du cercueil ; les gémissemens de votre patrie ne peuvent percer le silence de votre monument : combien plus vain et plus impuissant encore sera donc l’hommage de mes regrets ! mais vous approuvâtes les vers du ménestrel des frontières, quoiqu’il ne célébrât que les climats de la Calédonie : sa harpe gothique a retenti sur vos tombeaux ; le barde, que vous daignâtes louer, a chanté vos noms immortels.

Arrête, illusion, arrête, daigne encore bercer un moment mon imagination égarée ! Comment pourrai-je me séparer d’un sujet si grand, lorsque mon cœur n’est encore soulagé qu’à demi ? Ah ! que toutes les larmes arrachées par la douleur, que tous les ravissemens de l’âme, que toute cette chaleur qui anime le barde dans ses momens d’inspiration et tous ses plus nobles mouvemens se réunissent ; que la douleur, que l’admiration, que tout ce qu’il existe de sensations grandes et sublimes, associant leurs efforts, s’échappent de mon cœur en une sainte et douce extase ; cet hommage sera encore un trop faible tribut !… Mais non, mes vœux sont impuissans… le charme s’est dissipé.

Semblable à ces bizarres constructions des frimas, qui s’évaporent aux premiers rayons du matin, les créations de ma muse s’évanouissent soudain ; ces arches gothiques, ces pierres monumentales, cette nef vaste, obscure et élevée, ont disparu ; et fuyant les derniers de tous, ô douce illusion ! les sons lointains du chœur viennent mourir à mon oreille ; je reconnais peu à peu la prairie solitaire, le taillis touffu qui environne ma ferme, et mes folâtres enfans, dont les cris s’unissent au murmure des ondes de la Tweed.

C’est ainsi que la nature corrige son élève que séduit un sujet