Page:Oeuvres de Louis Racine, T1, 1808.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

Nos vœux et nos encens sont dûs à son pouvoir.
Cependant quel honneur en peut-il recevoir ?
Quel bien lui revient-il de nos foibles hommages ?
Lui seul il est sa fin, il s'aime en ses ouvrages.
Qu'a-t'il besoin de nous ? D'un oeil indifférent
Il regarde tranquile l'être et le néant.
Il touche, il endurcit, il punit, il pardonne :
Il éclaire, il aveugle : il condamne, il couronne.
S'il ne veut plus de moi, je tombe, je péris :
S'il veut m'aimer encor, je respire, je vis.
Ce qu'il veut il l'ordonne, et son ordre suprême
N'a pour toute raison que sa volonté même.
Qui suis-je pour oser murmurer de mon sort,
Moi conçu dans le crime, esclave de la mort ?
Quoi ! Le vase pétri d'une matiere vile
Dira-t'il au potier, pourquoi suis-je d'argile ?
Des salutaires eaux un enfant est lavé.
Par une prompte mort un autre en est privé.
Dieu rejette Esaü, dont il aime le frere.
Par quel titre inconnu Jacob lui peut-il plaire ?
O sage profondeur ! ô sublimes secrets !
J'adore un Dieu caché : je tremble, et je me tais.
Ce Dieu dans ses desseins terrible et toujours sage,
Qui ne changeant jamais, change tout son ouvrage,
Pour ceux mêmes souvent qu'il avoit rendus bons,
Arrête tout à coup la source de ses dons.
Dans cette obscure nuit l'astre si nécessaire,
La foi, quand il le veut, s'éteint ou nous éclaire.
Ce premier des présens qu'il fait aux malheureux,
Leur ouvre le chemin quand il a pitié d'eux.