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Mais par ce guide seul autrefois éclairés,
Les superbes mortels se croyoient assurés.
Pour confondre à jamais cette altiere sagesse,
Le ciel leur fit long-tems éprouver leur foiblesse.
A leurs sens il livra rois et peuples entiers,
Et les laissa marcher dans leurs propres sentiers.
La digue fut soudain rompue à tous les vices :
On ne vit plus par-tout, que meurtres, injustices,
Débordemens impurs, brigandages affreux,
Et du crime honoré le regne ténébreux.
A de frivoles biens créés pour son usage,
L’homme osa follement présenter son hommage.
La bête eut des autels, le bois fut adoré ;
Et tout fut, hors Dieu seul, comme Dieu réveré.
Et soi-même traitant ce culte de chimere,
Le foible philosophe imita le vulgaire.
Cependant, direz-vous, la Grece eut des Platons :
L’Asie eut des Thalés, et Rome eut des Catons.
Lucrece estime plus son honneur que sa vie ;
Decius se dévoue au bien de sa patrie.
Victime du serment aux ennemis juré,
Regulus va chercher un supplice assuré.
Rougis, lâche chrétien : dans un siécle prophane
Plus vertueux que toi le payen te condamne.
Ah ! Du nom de vertu gardons-nous d’honorer
Des actions que Dieu dédaigna d’épurer.
Rome n’eut des vertus que la fausse apparence,
Et vaine elle reçut sa vaine récompense.
L’éclat de ses héros nous charme et nous séduit :
Mais d’un aride champ quel peut être le fruit ?