Page:Oeuvres complètes de Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre, Tome 10, 1820.djvu/205

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su. Un de mes anciens camarades de collège me pria, il y a trois ans, de le présenter à J.-J. Rousseau. C'était un brave garçon, dont la tête était aussi chaude que le cœur. Il me dit qu'il avait vu Rousseau au château de Trie, et qu'étant ensuite allé voir Voltaire à Genève, on lui avait dit que la tante de Rousseau demeurait près de là dans un village. Il fut lui rendre visite. Il trouva une vieille femme qui, en apprenant qu'il avait vu son neveu, ne se possédait pas d'aise. Comment, monsieur, lui dit-elle, vous l'avez vu ! Est-il donc vrai qu'il n'a pas de religion ? Nos ministres disent que c'est un impie. Comment cela se peut-il ? il m'envoie de quoi vivre. Pauvre vieille femme de plus de quatre-vingts ans, seule, sans servante, dans un grenier, sans lui je serais morte de froid et de faim ! Je répétai la chose à Rousseau mot pour mot. Je le devais, me dit-il, elle m'avait élevé orphelin. Cependant il ne voulut pas recevoir mon camarade, quoique j'eusse tout disposé pour l'y engager. Ne.me l'amenez pas, dit-il, il m'a fait peur ; il m'a écrit une lettre où il me mettait au-dessus de Jésus-Christ.