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couleurs que l’argot parisien… Excellent homme, d’ailleurs, qu’il faut aimer, car il a de fortes qualités…

Il sourit, et je pus constater que son sourire n’avait aucune amertume.

— Je vous dis mes craintes… Craintes tout idéales, n’est-ce pas ?… Car l’autonomie de l’Alsace, voilà une question qui n’est pas près de se poser…

Il ajouta :

— Peut-être, de devenir Allemands, y avons-nous gagné un peu de dignité humaine… Tenez, sous l’Empire, Colmar était ignoblement sale, puante, décimée par la fièvre typhoïde. Elle n’avait pas d’eau, et en réclamait, à grands cris, mais vainement, depuis plus de cent ans. Le lendemain même de la conquête, le premier acte du gouvernement allemand a été d’amener, du Honach, d’abondantes sources d’une eau excellente, avec laquelle on a inondé et purifié la ville… Oui, les Allemands nous ont appris la propreté et l’hygiène, ce qui n’est pas négligeable, et l’insouciance de l’avenir, ce qui nous a fait une âme moins sordide et moins âpre. L’Allemand – je ne dis pas le juif allemand – l’Allemand ignore l’économie. Il est – non pas fastueux – car le faste suppose une imagination dans le goût, ou une ostentation dans la personnalité, que l’Allemand n’a pas, – mais très dépensier. Il dépense tout ce qu’il a, et souvent plus que ce qu’il a, au fur et à mesure de ses désirs et de ses caprices, presque toujours enfantins et coûteux. Un détail assez curieux… À Berlin – je dis Berlin, c’est toute l’Allemagne que je pourrais dire – le jour même des vacances, plus de deux cent mille familles quittent la ville… Elles vont s’abattre un peu partout, mais particulièrement en Suisse… Vous avez dû les rencontrer, au bord de tous les lacs,