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LA 628-E8

satisfaisaient pas toujours mon goût de la sobriété et de la ligne. Je dois dire pourtant qu’ils étaient réduits au minimum de laideur que comporte le modern-style… Ce ne fut qu’une impression momentanée, car les meubles ont ce mystère familier, qu’ils prennent très vite le visage et l’âme de leurs propriétaires. Par exemple, je fus ravi de ne voir aux murs que des tableaux français, choisis avec une décision d’art très hardie et très sûre : de très beaux paysages de Claude Monet, de puissantes natures mortes de Cézanne, les plus admirables nus de Renoir. La salle à manger est ornée d’exquis panneaux de Vuillard. Dans le cabinet de travail, des décorations de Pierre Bonnard, sobres, substantielles, harmonieuses, avec ce goût si aigu, si incisif, de l’observation des formes en mouvement, et cette qualité de matière, cette richesse de couleur, qui n’appartiennent qu’à lui. Çà et là, des van Gogh, des Vallotton, extraordinairement expressifs, des Roussel, légers, fluides, dignes de Corot et de Poussin. Un grand Courbet – paysage de roches jurassiennes – occupe magnifiquement la place d’honneur, dans le salon. Toute une suite de pastels de Lautrec, quelques-uns très libres, des aquarelles, des dessins de Guys et de Forain, égaient le lumineux escalier, ainsi que le palier du premier étage. Sur des colonnes et des socles, sur les cheminées et les meubles, des marbres et des bronzes de Rodin, de délicieux bois de Maillol. Je vis que ce choix, ni le snobisme, ni la mode, ni le désir d’étonner ne l’avaient imposé, mais une préférence esthétique très raisonnée, très intelligemment expliquée, surtout par les femmes… Il fallait donc que je vinsse en Allemagne, pour avoir la joie de voir, ainsi compris, ainsi fêté, ce que j’aimais, et, pour toute une soirée, sentir ce plaisir si rare, même en France, d’être