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BORDS DU RHIN

Là-haut, Balzac était seul, tout seul !… Une fois dans la rue, je poussai un long soupir de délivrance, j’aspirai l’air frais du matin, avec délices, et j’allumai un cigare.

Se levant tout à coup, Jean Gigoux marcha dans l’atelier, la tête basse, les mains derrière le dos… marcha longtemps dans l’atelier… Et, s’arrêtant devant moi, il me dit :

— Et voilà comment Balzac est mort… Balzac !… vous entendez ?… Balzac !… Voilà comment il est mort !…

Puis il se remit à marcher… Après un court silence :

— C’est drôle, fit-il… Je ne suis pourtant pas un méchant homme… je ne suis pas une canaille… une crapule… Mon Dieu !… je suis comme tout le monde… Eh bien… je n’ai vraiment compris que plus tard… beaucoup plus tard… Certes, cette journée-là… cette nuit-là… j’ai eu de la gêne… de l’embêtement… je ne sais pas… du dégoût… Je sentais que ça n’était pas bien… Oui, mais ça ?… ça ?… l’ignominie ?… Non… Je vous donne ma parole d’honneur… ce n’est que plus tard… Qu’est-ce que vous voulez ?… on aime une femme… on se laisse aller… et c’est toujours, toujours, de la saleté !… Ah !… et puis, est-ce que vraiment je l’aimais ?…

Il écarta les bras, les ramena vivement le long de son corps, en faisant claquer ses mains sur ses cuisses :

— Ma foi !… Je n’en sais plus rien…

Haussant les épaules, il ajouta :

— L’homme est un sale cochon… voilà ce que je sais… un sale cochon !

Il tourna quelque temps dans l’atelier, tapotant les meubles, dérangeant les sièges, grommelant :

— Balzac !… Balzac !… Un Balzac !