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BORDS DU RHIN

ment, il n’avait plus sa connaissance. Ses yeux étaient grands ouverts, mais il ne voyait plus rien. Il râlait, d’un grand râle sourd qui, parfois, lui soulevait la poitrine, à la faire éclater. Le plus souvent, il demeurait calme, la tête enfouie dans l’oreiller, sans le moindre mouvement… N’eussent été le bruit de sa gorge et le gargouillement de son nez, on l’eût cru déjà mort. Le drap était tout mouillé de la sueur soudaine, fétide, qui lui ruisselait du visage et de tout le corps. La garde conta : « Monsieur a, au bout de chaque doigt, une énorme goutte de sueur que le drap pompe et qui se renouvelle sans cesse… On dirait qu’il se vide, surtout par les doigts… c’est extraordinaire !… » Elle n’avait jamais vu ça… Elle dit : « Ah ! Madame fera bien de ne pas entrer… Vrai ! c’est pas engageant, pour une dame… J’en ai veillé, vous pensez !… Mais des comme Monsieur… oh ! lala !… Et j’ai beau mettre du chlore !… » Elle dit aussi : « Il me faudra une paire de beaux draps, tout à l’heure, pour quand je ferai la toilette… Le valet de chambre n’en a plus que de vieux… » Et comme la pauvre femme, épouvantée de tous ces détails, répétait : « La toilette !… Mon Dieu !… c’est vrai… la toilette !… », la garde la rassurait d’un affreux sourire : « Oh ! Madame n’a pas besoin d’être là… Que Madame ne se tourmente pas… Ce n’est rien… j’ai l’habitude, allez ! » La journée passa ainsi, lugubre et lente, éternelle. Il ne me fut pas permis de sortir, d’aller à mes affaires, à mon atelier, où j’avais donné un rendez-vous important… Chaque fois que j’en émettais le désir, elle s’accrochait à moi, poussait de petits cris. « Non… non… Ne me laisse pas toute seule, ici… Ton atelier !… Reste avec moi, je t’en prie ! » Si la garde se présentait pour demander quelque chose qui lui manquât, ou pour nous tenir au courant des progrès de l’agonie,